Résumé
Anzu est céramiste. Elle habite seule avec son fils depuis son divorce et ne souhaite pas se remarier. Elle s’épanouit pleinement dans un quotidien calme rythmé par la pratique de son art. Sa douceur naturelle est à l’image de sa vie, dans une petite ville au bord de la mer du Japon et au pied du mont Daisen. Sa sœur aînée, séductrice impénitente tout juste fiancée, annonce qu’elle viendra de Tokyo présenter à sa famille l’heureux élu.
Une porte d’entrée
Ce roman ouvre un nouvel arc narratif de l’auteure. Sur plusieurs ouvrages, le lecteur peut, s’il le souhaite, découvrir le point de vue de différents personnages rencontrés au fil de ce premier récit. J’ai lu que c’était la façon habituelle de travailler de Aki Shimazaki, elle a déjà publié plusieurs séries, découpées de cette manière. Suzuran ouvre son quatrième cycle en 2019. Depuis, trois autres livres tournant autour des personnages découverts ont été publiés.
J’ai découvert cela après avoir achevé la lecture de ce roman. Quelque chose m’avait laissée perplexe. Une impression d’une histoire qui va trop vite, un sentiment diffus de n’avoir pas tout compris. Ou plutôt, que tout n’a pas été exploité. Mais en apprenant cette façon singulière qu’a l’auteure d’envisager ses récits, tout à fait sens. Suzuran forme un tout certes, mais c’est aussi une porte d’entrée.
C’est comme si le lecteur était invité à entrer dans une demeure familiale. Suzuran pourrait en représenter le séjour. Un lieu de passage où tous les membres de la famille apparaissent et se croisent. Mais il y a bien d’autres pièces à découvrir… C’est une invite à ne pas oublier les personnages pour en retrouver certains, à une autre époque de leur vie, par la suite. et c’est également une belle manière de donner de la profondeur aux gens et aux événements. Surtout pour un personnage comme la sœur aînée qui peut paraître néfaste et purement négatif. J’ai envie de mieux la connaître, de connaître son point de vue et de voir peut-être, que rien n’est jamais tout blanc ou tout noir.
La céramique japonaise
En toute franchise, c’est la première phrase de la quatrième de couverture qui m’a décidée à acheter ce roman 😀Au Japon, la céramique, et par extension la céramique d’art, ont longtemps été des domaines exclusivement réservés aux hommes. Si longtemps, que les premières femmes qui ont pu se former à cet art de “toucher le feu” l’ont fait après la Seconde Guerre mondiale… Le métier de l’héroïne n’ a donc rien d’anodin.
Certaines artistes ont acquis une réputation internationale et on peut d’ailleurs voir certaines de leurs œuvres dans des galeries ou des musées occidentaux comme le musée Guimet à Paris. Ce musée a consacré une exposition à ces femmes en 2022. Ce sont des pièces acquises ces dernières années par le musée, avec une vraie volonté de mettre en lumière ces femmes. J’étais restée admirative notamment devant cette œuvre de Ogawa Machiko Cristaux et souvenirs. Pour moi, la céramique d’art impose une matérialité dans les œuvres produites qui ne m’avait jamais frappé avec d’autres vecteurs. Les pièces en céramique donnent presque toujours envie de les toucher. Comme si le spectateur retombait brusquement en enfance. Les effets texturés, lisses, rugueux, etc. On voudrait tendre la main pour réconcilier ce que voit le cerveau et le fait de savoir que tout ce travail cache une matière première brute et sans intérêt avant le travail de l’artiste.
Et l’auteur nous plonge, nous immerge, dans l’atelier de son personnage. Les différentes étapes de création, jusqu’à l’exposition. Cette grande tradition japonaise de la céramique croise aussi celle de l’ikebana. En effet, Anzu ne crée que des vases réservés à cet art ancestral d’arrangement floral.
La vie ordinaire est-elle ennuyeuse ?
Faut-il toujours raconter des histoires rocambolesques, aventureuses et/ou exotiques pour captiver les lecteurs ? Aki Shimazaki propose un autre regard sur ce qui forme le nœud d’une histoire.
Suzuran c’est le récit d’un moment dans la vie d’une femme. Un moment où l’amour retrouve le chemin de son cœur. Est-ce qu’écrire une histoire d’amour c’est banal ? Non quand on voit l’énergie que l’on déploie tous pour trouver l’amour, garder l’amour, retrouver l’amour. Avec une écriture épurée et délicate, le lecteur suit l’évolution de ce personnage principal et les épreuves qu’il faudra traverser pour espérer accéder à la récompense ultime, l’Amour avec ce fameux grand A. Même si la réalité varie derrière cette pancarte à l’entrée 😉
L’amour et le quotidien du travail et de la famille. Rien que des notions connues et battues en brèche. Mais justement, c’est d’autant plus honorable de réussir à produire un texte fort, concis et poétique.
En achevant le texte, j’ai eu la sensation que la notion d’harmonie était finalement ce qui imprimait chaque action du récit. C’est un roman équilibré, tranquille, une force tranquille qui s’offre à la lecture.