Résumé
Un bassin, des massifs de roses et un plaqueminier donnent de quoi faire au jardinier d’une vieille dame qui, depuis la mort de son mari, se sent très seule et en danger dans sa grande maison au cœur de la ville. Les fleurs donnent des fruits, les kakis mûrissent et elle ne se prive pas d’en offrir, notamment à son locataire. Des liens subtils se tissent entre eux, que vient troubler l’apparition d’une fiancée…
Un recueil de nouvelles
Ce résumé est en fait uniquement celui d’une nouvelle éponyme à l’intérieur de ce recueil qui en compte cinq. Publié en français en 2009, ce livre de Zoyâ Pirzad a obtenu le prix du meilleur livre étranger du Courrier International.
La nouvelle est un style à part, ayant de fortes contraintes sur le travail d’écriture. En une cinquantaine de pages, l’auteure doit développer une intrigue, les personnages, l’atmosphère et le message qu’elle souhaite communiquer au lecteur.
C’est en cela que je trouve ce recueil particulièrement admirable. Zoyâ Pirzâd a créé tout un univers immédiatement sensible et d’une profondeur narrative surprenante.
Les histoires universelles
L’auteure développe, dans ses cinq histoires distinctes les unes des autres, des récits ancrés en Iran. La temporalité est un peu floue, années 1990 sûrement pour la plupart, une qui commence bien avant. Pour le lecteur, c’est l’occasion d’imaginer la vie quotidienne en Iran. Et cela d’une autre manière que ce dont on entend toujours parler aux actualités pour ce pays. On est au niveau des individus, la politique, la géopolitique n’ont pas vraiment de place ici.
Il n’y a pas la place pour cela aussi parce que l’angle de ce recueil de nouvelles est de raconter des moments de vie. Et cela, en Iran ou ailleurs, ce sont toujours les mêmes. Le récit est universel derrière un décor et des traditions iraniennes.
Ce sont des histoires d’amour, mais qu’arrive-t-il après la fin classique à l’occidentale “il se marièrent et eurent beaucoup d’enfants” ? Que se passe-t-il ensuite, dans l’intimité du couple ? Est-ce toujours une réussite ? Que faire quand ce n’est pas le cas ?
Les marqueurs de l’humanité
Avec une grande subtilité et la concision imposée par ce genre littéraire, Zoyâ Pirzâd nous donne à voir cinq vies traversées par des moments particulièrement saillants auxquels il faut faire face.
Quatre des cinq textes ont pour personnage principal une femme. L’une qui prend la décision de divorcer dans une société très traditionnelle et qui valorise sa carrière professionnelle. Une femme au foyer quittée qui doit avancer dans l’inconnu. Une autre trompée qui va trouver la force de réagir. Une dame âgée et esseulée qui cherche à retrouver un second souffle, ou quelqu’un pour prolonger l’ambition de sa vie.
Ce sont des moments forcément identifiables pour le lecteur, l’humanité étant toujours pavée des mêmes sentiments, retournements, déchirements.
J’ai beaucoup aimé aussi la place du rire dans chacun des récits. Toujours l’auteure trouve une place pour des éclats de rire, le propre de l’Homme comme le décrit Umberto Eco dans Le Nom de la Rose.
Et même si parfois, on a la sensation que le personnage rit pour ne pas pleurer, ou rit pour faire face au destin, c’est une certaine vision de la vie que donne à voir l’auteure. Le rire pour contrer la fatalité ou du moins l’accompagner. Le rire aussi comme un rappel que la vie vaut toujours la peine d’être vécue, que les épreuves à endurer n’en n’entament pas la beauté.
Un décor féminin ?
J’ai beaucoup apprécié dans ces histoires l’attention accordée à la maison. L’espace domestique est là où se développent une grande partie des récits concernant les femmes. La nouvelle qui se centre sur un jeune homme tranche largement là-dessus puisqu’au contraire le lecteur ne voit le personnage principal qu’à l’extérieur de chez lui.
Il y a donc un lien pour l’auteure entre la position de la femme dans la société iranienne et la maison. On peut y voir la marque d’une société traditionnelle et religieuse qui accorde en théorie une grande place à la répartition des rôles genrés dans la société. Je dis en théorie car ces principes anciens sont battus en brèche en Iran par le nombre de femmes étudiantes dans le supérieur puis menant des carrières sans s’arrêter forcément après un mariage.
Ce lien entre la femme et l’intérieur d’une maison peut aussi se lire comme une relecture moderne d’une répartition des rôles imposée par le passé. Comme l’analyse très bien Mona Chollet dans son essai Beauté Fatale, les femmes ont longtemps été poussées à s’occuper de l’entretien de la maison, à la décorer, à en faire le nid familial tandis que l’homme travaillait à l’extérieur.
Aujourd’hui, certaines gardent un attrait particulier pour cette thématique de la maison-cocon à aménager et décorer avec soin. C’est dans cette perspective que les détails des objets, des couleurs, de la vie interne de la maison, m’ont plu dans cet ouvrage. Cela a participé pour moi à fixer l’atmosphère du texte et à l’illuminer.
Le goût âpre des kakis est un recueil empreint de mélancolie et de tendresse qui parlera forcément au lecteur.
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