Résumé
“Elle courut vers le coffre-fort, tourna la clef dans la serrure et tira la lourde porte bordée de cuivre… Elle regarda à l’intérieur, poussa un soupir de soulagement : il y avait juste assez de place, juste assez…- Cache-toi là, vite ! Je vais les éloigner… Mais dépêche-toi donc, voyons ! Il obéit sans se presser, sans doute par souci du style, tenant toujours la rose dans une main et le pistolet dans l’autre. Elle saisit la sacoche avec les bijoux et la jeta à ses pieds… Elle lui fit un petit signe de la main, referma doucement la porte et tourna trois fois la clef dans la serrure.”
Une grande dame ambivalente
Lady L, dans ce roman éponyme, apparaît duale au lecteur dès les premières pages. On voit se dessiner cette aristocrate anglaise, très riche, très en vue… Mais Romain Gary dessine déjà les contours d’une personnalité beaucoup plus complexe et ambigüe. Est-elle celle qu’elle prétend être ? Que doit-on comprendre de l’action terroriste qu’elle dit avoir mené toute sa vie ?
En à peine quelques pages, l’auteur perd complètement le lecteur et le mystère est déjà à son comble. Mais ces secrets, cette noirceur qui se dessinent en filigrane n’alourdissent pas le ton du récit. En effet, c’est une écriture légère et pleine d’humour qui prédomine ici. Le lecteur pressent une histoire sombre dans les faits qui sont évoqués, mais Romain Gary va la dévoiler avec ce ton irrévérencieux qu’on lui retrouve souvent.
Cette vieille dame au cœur de la meilleure société britannique cache bien son jeu. Derrière l’austérité et le flegme caractéristiques du pays, elle laisse percer sa vraie personnalité. Lady L collectionne les tableaux de fêtes galantes de Fragonard, Tiepolo, se laisse aller à une décoration plutôt chargée de son château… Derrière les apparences grises et figées, c’est une femme pleine de vie, au caractère bien trempé que l’on va découvrir.
Au nom de l’Humanité
Lady L fait le récit de sa vie à son plus fidèle compagnon. Une vie bien loin des canons de son milieu social… Annette, la française pauvre, prostituée et qui, par amour passionnel, a servi la cause anarchiste dans sa jeunesse. Les masques tombent. La grande dame sort du ruisseau, tout est faux chez elle, le nom, l’arbre généalogique, les idées qu’elle professe…
L’action terroriste prend alors son sens, elle a été éduquée, habillée, formée uniquement pour infiltrer les milieux mondains et faciliter des cambriolages.
L’amour de sa vie, Armand Denis, est une figure anarchiste jusqu’au-boutiste. Les idées, les théories, la révolution mondiale… Tous ces concepts l’animent dans tout ce qu’il entreprend, là où pour Lady L, tous ces grands mots sonnent creux. Elle n’y adhère que pour garder son amant auprès d’elle.
Le regard de Gary
A travers ce roman, c’est bien sûr la vision de Romain Gary qui se révèle. Avec acuité et bienveillance, l’auteur pointe du doigt les incohérences des Hommes. Comment les grandes idées pour libérer les gens conduisent inévitablement à en tuer… Les attentats anarchistes, la folie des totalitarismes du XXe siècle que le narrateur évoque comme la dérive à venir à trop vouloir modeler l’Humanité selon de grands principes… Mais le regard de l’auteur n’a rien de fataliste ou de déprimé. C’est toujours l’optimisme qui prend le dessus. Et dans le récit, c’est aussi la fonction de ce goût de Lady L pour tout un bric à brac baroque, de scènes amoureuses naïves, pour ces peintres de la légèreté comme Boucher. Elle incarne finalement la réaction des individus face aux acharnés des théories politiques. Lady L veut être heureuse, amoureuse et aussi très riche. Là sont des objectifs de vie. Des objectifs qui semblent égoïstes à qui veut libérer le prolétariat du joug de la bourgeoisie. Mais des objectifs qui font moins de morts…
Humour noir
Avec cet humour pince-sans-rire, Romain Gary et sa Lady L balaient la théorie pour se concentrer sur le bonheur terrestre et immédiat. C’est une critique drôle, mais qui fait mouche, du dogmatisme et de l’extrémisme sous toutes ses formes.
Et le terrorisme peut revêtir des aspects qu’on ne soupçonnerait pas. Ainsi, cette vie d’aristocrate, bien en cour, très en vue, peut aussi cacher sa part de nihilisme. Et cela justement avec les goûts à rebrousse poil de cette grande dame qui se permet tout. Choquer son milieu social en permanence, voilà où réside le terrorisme de Lady L, au-delà de son conformisme.
Tout le roman est ainsi au second degré, on s’amuse en le lisant et les personnages aussi s’amusent beaucoup, tout ce champ lexical revient très souvent. C’est aussi une manière de remettre la vie à sa place. Quel intérêt de tout prendre au sérieux ? L’auteur semble nous engager à plus de légèreté, à vivre selon le carpe diem. Le récit est un long bal masqué coloré où le plus important est de s’amuser.
Elisabeth d’Autriche Impératrice, assassinée en 1902 !!! ???.