Résumé
Soutien gorge rembourrés pour fillettes, obsession de la minceur, banalisation de la chirurgie esthétique, prescription insistante du port de la jupe comme symbole de libération : la “tyrannie du look” affirme aujourd’hui son emprise pour imposer la féminité la plus stéréotypée. Décortiquant presse féminine, discours publicitaires, blogs, séries télévisées, témoignages de mannequins et enquêtes sociologiques, Mona Chollet montre dans ce livre comment les industries du “complexe mode-beauté” travaillent à maintenir, sur un mode insidieux et séduisant, la logique sexiste au cœur de la sphère culturelle.
Un état des lieux
Le livre a paru en 2012. Mona Chollet fait un état des lieux de la cause des femmes dans le contexte occidental. Pour cela, elle livre au lecteur une analyse pointue, fouillée et référencée. L’auteure a choisi de concentrer son propos sur les questions d’apparence physique, une dimension tout à fait pertinente quand on voit les chiffres d’affaires annuels des mastodontes de l’industrie de la beauté.
Je me rends compte que cet ouvrage a déjà dix ans, mais il est toujours autant d’actualité. Aucune partie de l’analyse développée ne peut être balayée aujourd’hui comme dépassée.
Malgré le regain de vitalité du féminisme dans le sillage des affaires sordides ayant lancé le mouvement #MeToo, les mécanismes culturels restent les mêmes et les stéréotypes sexistes restent à pied d’œuvre dans les publicités etc.
Un partage des rôles rétrograde
Depuis plus de dix ans, on voit le retour en force d’activités vues et qualifiées comme féminines. Ce sont des occupations intervenant dans la sphère domestique. Cuisine, couture, vocation maternelle, maquillage, décoration… On retrouve ce schéma archaïque de laisser la sphère publique aux hommes et de replier les femmes dans la sphère privée. Les marques de l’industrie de la mode comme celles de l’industrie de la beauté reprennent à leur compte cette répartition des rôles et la renforcent. Les magazines féminins bombardent toujours leur lectorat d’injonctions à respecter concernant le corps par exemple.
Il ne faut pas le laisser grossir, ni vieillir, ni se ramollir… Tout cela joue sur les peurs primaires des personnes, ne pas être aimée, faire face à notre condition de mortels… Et cela engendre chez de très nombreuses femmes une insatisfaction, voire une haine de leur corps.
Tous les moyens que l’on met en œuvre pour dominer le corps, en temps, énergie et argent, ce sont des moyens que l’on n’investit pas ailleurs. C’est une manière ancestrale efficace de contrôler les femmes.
L’auteure montre très bien aussi comment les petites filles ne sont pas épargnées par ce matraquage. Anorexie infantile en hausse, maquillage, concours de beauté… Il faut conditionner les âmes dès l’enfance…
Une récupération commerciale à outrance
Mona Chollet démontre comment les industriels monétisent ces domaines arbitrairement dévolus aux femmes : le soin de l’apparence physique, la sensibilité aux objets (décoration, bijoux…) et le goût pour une vie hors du monde.
Elle détaille pour le lecteur le succès et les ressorts d’une série comme Gossip Girl. La mise au goût du jour de histoire de princesses richissimes, vêtues entièrement de vêtements de luxe, des vies hors du commun. Il intéressant là-dessus d’actualiser les propos de l’auteure, puisque la série vient d’être rebootée ! Mais à côté de Gossip Girl, il y a aussi en ce moment le phénomène Emily in Paris, qui joue beaucoup sur ce même registre.
L’auteure analyse la tendance du it bag, ces sacs à main de luxe qu’il faut absolument posséder pour prouver son bon goût. Et la place des actrices dans la promotion des marques de luxe.
Là aussi, les contenus de magazines féminins n’ont guère changé. Qu’on pense aux vidéos de Vogue interrogeant des actrices sur le contenu de leur sac à main (finalement dix ans plus tard connaître les sacs à la mode ne suffit plus, il faut voir dedans carrément) ou les vidéos de AD quand les stars, en majorité des femmes, font visiter leur demeure luxueuse. Dans ces vidéos, on a tous les stéréotypes appliqués aux femmes : l’apparence, la déco, la vie hors du commun. Avec des stars apprêtées qui semblent partager leur intimité, ouvrir leur cocon au public.
Les normes inatteignables pour le corps
L’auteure analyse en profondeur les obsessions entretenues à l’égard du corps. Comment le matraquage induit des comportements parfois destructeurs, comme l’épidémie d’anorexie. L’industrie met en avant des corps soi disant parfaits, et ces canons de beauté polluent l’inconscient de la majorité des femmes au quotidien. Cela déclenche des processus d’auto dévalorisation qui alimente les angoisses voire la haine du corps et de soi.
La chirurgie esthétique se normalise, malgré les risques, malgré les douleurs. Le corps est devenu un produit à entretenir et surtout maintenant à améliorer. Toujours des logiques de performances, d’optimisation…
Des normes impossibles à atteindre et des normes aussi très blanches. Les canons de beauté sont encore très peu diversifiés. Les femmes autres que blanches n’ont pas le droit de citer pour ces marques de luxe, hormis deux trois ambassadrices castées justement pour éviter les accusations de racisme.
Un livre pour éclairer sans juger
Ce que j’ai particulièrement aimé dans cet essai de Mona Chollet, c’est qu’elle ne juge pas du tout les femmes. Chacune est libre de souhaiter se maquiller, lire la presse féminine et l’apprécier etc. Son propos est de mettre au jour les logiques mercantilistes qui se cachent derrière la production de ces contenus aussi bien dans les média que dans les fictions.
C’est une façon intéressante d’apporter des faits et d’éclairer le lecteur en le laissant libre de ses choix, les femmes ont le droit d’aimer le rose, la déco etc. L’essentiel est de prendre conscience du cadre, du moule, existant.
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