Résumé
En Louisiane à la fin du xixe siècle la vie est paisible: villas du bord de mer, soirées musicales, robes de mousseline et enfants sages. Aux yeux d’Edna, cette quiétude confine à la torpeur. Une émotion amoureuse, un parfum enivrant et la vie change de registre. C’est « l’éveil ». La jeune femme découvre son goût de vivre, sa créativité, son corps, elle-même en somme.
Un roman objet du scandale
Lorsque L’Eveil est publié aux Etats-Unis en 1899, le scandale éclate immédiatement. Ce n’est pas la première publication de Kate Chopin. A ce moment-là, elle a déjà connu le succès, au niveau national, en faisant paraître plusieurs nouvelles et des traductions de Guy de Maupassant.
On sent d’ailleurs à la lecture une certaine influence du style de Maupassant. Et plus largement, l’auteure s’est inspirée des principes littéraires du réalisme pour son texte. Plus encore que Maupassant, c’est l’influence de Flaubert qui est manifeste, le roman a souvent été mis en parallèle de Madame de Bovary.
Mais cette fois-ci, l’histoire est jugée immorale et le refus de l’auteure de condamner la conduite de son personnage, Edna Pontellier, signe la fin de sa carrière littéraire. Elle ne publiera plus rien et son œuvre va rester dans l’oubli jusque dans les années 60.
A cette époque, les revendications féministes remettent sur le devant de la scène ce roman et le succès de cette œuvre ne se démentira plus. C’est aujourd’hui l’un des grands classiques de la littérature américaine.
Il est certain que ce texte puissant, s’attachant au destin d’une femme qui va refuser toutes les conventions sociales qui lui sont imposées, a détonné à la veille du XXe siècle dans une société puritaine.
Edna, le stéréotype d’une époque
Edna est belle, jeune, mariée à un riche homme d’affaires et mère de deux garçons. Sur le papier, à l’époque et au moins par certains aspects encore aujourd’hui, elle a tout pour être heureuse.
Le récit commence sur le lieu de villégiature du couple, Grand-Isle, pas très loin de la Nouvelle-Orléans. C’est surtout la bonne bourgeoisie du quartier français qui se retrouve sur cette île pour passer l’été. Le roman reste vraiment ancré dans le contexte et le logiciel de pensée américains de l’époque. En effet, tout au long du texte, les personnages sont tous présentés par rapport à leur “race” et l’histoire reste concentrée sur les destins des personnages les plus importants, tous blancs. Sans aucun doute, c’est là l’aspect du roman qui a le plus vieilli en lisant à notre époque.
Sous le vernis
Cette image idyllique et sereine va vaciller rapidement. Dès les premiers chapitres, de son propre aveu ou dans le regard de son mari, on découvre qu’Edna n’appartient pas à cette catégorie de femmes que sont les mères avant tout. Edna s’occupe de ses enfants mais elle ne se sent pas viscéralement attachée à eux, elle continue de mener, même inconsciemment, sa vie de femme. Comme elle le déclare, elle ne peut pas nier son individualité et s’effacer devant ce rôle de mère. Cela constitue la première “bombe” à l’encontre des principes de bonne morale de l’époque.
Au fil du récit, Edna n’aura de cesse de revendiquer sa liberté. Elle se lance dans la peinture, cherche l’indépendance financière, déménage seule, etc. C’est un sentiment amoureux, voire passionnel qui est le déclic de ce changement. Certes, mais ce n’est pas le roman d’une histoire d’amour adultérin. Sur ce point, je trouve Kate Chopin bien plus avant-gardiste, bien plus incisive que les réalistes français. C’est l’éveil d’une personnalité, d’une individualité dans sa globalité. Pour des femmes qui vivent dans un carcan étroit à l’époque, les choix d’Edna sont révolutionnaires.
Mademoiselle Reisz
C’est un personnage secondaire auquel on ne prête pas attention dans la première partie du roman, à Grand Isle. Au contraire, par la suite son rôle devient fondamental. C’est une femme âgée, seule et acâriatre ou du moins désagréable en société. Le reste du groupe la tolère toutefois par des sentiments de pitié au vu de sa situation. Et aussi bien sûr parce qu’elle joue merveilleusement bien du piano.
Il se noue entre elle et Edna une relation amicale qui semble contre-intuitive du point de vue de leur situation sociale respective. Mais de fil en aiguille, Mademoiselle Reisz devient la confidente de l’amour impossible d’Edna. Et elle ne blâme pas la jeune femme, plutôt même elle lui apporte son aide.
Les deux femmes forment les clichés opposés sur les femmes. La belle, jeune et riche qui est sur le point de tomber, de déchoir. Et la vieille pauvre esseulée. Est-ce pour l’auteure une manière d’illustrer l’avenir qui attend Edna si elle continue dans la voie de “la mauvaise conduite” ? Elle se retrouva sans personne, dans un appartement presque sans chauffage etc. Ou bien, peut-on imaginer que Mademoiselle Reisz est la seule capable de comprendre ce qu’il arrive à son amie parce qu’en son temps elle avait elle-même fait des choix similaires ?
Du tragique grandiose
Certes, l’histoire est dramatique. Peut-être aussi pour l’époque était-ce la seule façon possible de terminer un récit aussi explosif. Dans tous les cas, c’est une lecture qui bouleverse et qui donne à voir d’autres aspirations que celles qui ont dominé à la fin du XIXe siècle.