Résumé
Au bord de la mer Caspienne, un jeune garçon découvre les jeux de l’enfance avec son amie Tahereh. Lui est arménien. Elle, fille du concierge musulman de l’école. Ainsi se côtoient chrétiens et musulmans, dans la petite communauté arménienne, entre l’église, l’école et le cimetière. Pâques, c’est la fête des œufs peints, des pâtisseries à la fleur d’oranger. C’est aussi l’occasion d’allers et retours entre passé et présent, entre Téhéran et le village natal.
Les Arméniens d’Iran
C’est un roman d’une grande concision, comme souvent dans les textes publiés par Zoya Pirzâd. Ici elle nous plonge au cœur de la communauté arménienne, établie en Iran à la suite du génocide subi en Turquie au début du XXI siècle. La romancière est d’ailleurs elle-même issue de cette communauté.
Ce texte est d’une grande sensibilité et adopte le point de vue du personnage principal à trois moments différents de sa vie. C’est d’abord un petit garçon, puis un adulte, puis un homme approchant la retraite. Dans la première partie, j’ai trouvé intéressante la description de la relation de ce fils avec son père. Un père un peu caricatural dans ses défauts « d’homme » : bourru, borné, valorisant uniquement les comportements qu’il juge virils et déçu par ce fils sensible, fantasque et rêveur.
Sans que ce soit le centre du roman, on sent bien à la lecture la blessure du fils face à ce père qui ne le comprend pas. Et l’auteure donne à voir un autre type de masculinité que celle du macho obtus.
Les petits riens de la Vie
Aussi, je pense qu’il y a un parallèle intéressant à faire dans les mécanismes d’écriture entre Pirzâd et Marcel Proust. Cela dans le sens où les trois chapitres qui rythment et structurent le texte renvoient à des choses insignifiantes dans la vie du personnage principal. Noyaux de griottes, coquillages, pensées blanches.
Mais en lisant, on découvre plutôt que ces objets du quotidien, auxquels on ne prête pas attention ouvrent ici sur beaucoup plus large qu’eux-mêmes. Comme dans le texte de Marcel Proust, quand le narrateur est replongé dans un souvenir, pas toujours précis, au contact d’une personne ou d’une scène qui le transporte.
Bien sûr la comparaison s’arrête là, les fonctionnements psychologiques dispensés et des souvenirs ne sont pas au cœur du texte comme c’est souvent le cas dans La Recherche. Mais l’auteure tient ramassés, en un seul objet trivial, des moments de vie de son personnage.
Les femmes, le vrai personnage principal ?
Comme dans d’autres récits de son œuvre, par exemple Le goût âpre des kakis, ce sont des histoires du quotidien, des histoires de famille. Mais elles sont rapportées avec une attention au détail propre à Zoya Pirzâd. Et il ne faut pas imaginer pour autant que le texte soit creux. L’auteure s’intéresse souvent à la condition des femmes dans son pays et dans ce roman aussi, la thématique apparaît clairement.
Ce sont les figures féminines autour du héros qui viennent incarner tour à tour toutes les facettes de la Femme. Le poids des traditions, de la religion, du quand-dira-t-on, etc. Le prix à payer pour celles qui choisissent malgré tout de s’écarter du carcan préétabli pour elles.C’est toute la force de ce roman, à travers les yeux d’un homme, donner à voir ces femmes au-delà des stéréotypes.
On ne tombe pas dans la facilité de portraits de femmes toujours parfaites ou toujours « mauvaises » (cet adjectif ne servant ici que pour illustrer l’opposition car qui détermine le « mauvais » enferme les gens dedans). Justement, l’écriture ne flanche pas dans du tout blanc ou tout noir. Les individus sont complexes, se comportent plus ou moins bien en fonction de la situation donnée, changent d’avis… Et même le regard et le jugement que l’on va formuler à propos de tel ou tel personnage féminin va varier en fonction de notre propre histoire personnelle.
C’est fascinant de voir tout cela développé, dans ce roman où, malgré un narrateur masculin, ce sont les femmes de sa vie qui sont sur le devant de la scène.
Un style fin et inimitable
Zoya Pirzâd a un don incroyable pour sublimer le réel, le commun de nos existences. Car, comme souvent chez elle, il est impossible de ne pas s’identifier à l’un ou l’autre des personnages, de ne pas voir des souvenirs refleurir dans notre mémoire en lisant ceux qu’elle imagine pour ses personnages. Avec l’extrême justesse de ses mots, la fluidité de son style d’écriture, l’auteure nous transporte au cœur du récit. C’est un peu comme les tableaux de Bruegel l’Ancien. D’une scène banale il en donne une interprétation artistique immédiatement reconnaissable. J’ai le même sentiment en lisant les livres de Zoya Pirzâd. Elle écrit les vies qui sont celles de tant de personnes bien réelles. On sent la bienveillance de l’auteure envers ses semblables, une bienveillance qui passe aussi par son écriture subtile et digne.
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