Résumé
En 1860, une aristocratie décadente, sourde aux bouleversements du monde, règne encore sur la Sicile. Le débarquement des troupes de Garibaldi amorce le renversement d’un ordre séculaire. Conscient de la menace qui pèse sur les siens, le prince de Salina accepte l’union de son neveu Tancredi avec la belle Angelica, fille d’un parvenu. Ultime concession qui signe la défaite du Guépard, le blason des Salina…
Le contexte historique
Depuis le début du XIXe siècle, l’idée d’une nation italienne unie gagne de l’ampleur. Le territoire italien est morcelé en différents royaumes, cités, duchés. C’est Victor Emmanuel II, roi de Piémont-Sardaigne qui va œuvrer pour rassembler ces terres sous son égide.
En 1860, Garibaldi, député piémontais et grand défenseur d’une nation unie, prend la tête de l’expédition des Mille. Un millier de soldats qui s’embarquent pour la Sicile où la révolte gronde déjà. L’île appartient au Royaume des Deux Siciles, dont la cour est à Naples et le roi refuse catégoriquement de lâcher ses prérogatives au profit de la création du pays.
Des rebelles siciliens ont déjà pris le maquis et attendent l’aide de Garibaldi pour chasser les royalistes de l’île.
La fin d’une époque
Ce roman de Tomasi di Lampedusa raconte le baroud d’honneur de l’aristocratie en Sicile. Devant l’avancée inexorable des troupes républicaines, c’est l’heure des choix pour assurer la survie de la famille Salina.
Le prince est l’incarnation du royaliste, bien en cour, proche des hommes d’Eglise aussi et affichant un train de vie fastueux. Le palais de la famille est immense, richement décoré, il y a aussi la résidence d’hiver à Palerme. Le personnage principal est aussi l’archétype du noble érudit, passionné de mathématiques et d’astronomie.
Devant la perspective de la défaite des royalistes, il est obligé de penser à son avenir, à sa “survie” ou plutôt celle de ses privilèges et de ses richesses.
C’est son neveu et pupille Tancredi qui lui apporte la solution toute simple, il s’est enrôlé avec les troupes rebelles. Ainsi, lorsque la victoire sera assurée, la famille pourra prouver qu’elle avait choisi le bon camp.
La phrase qui incarne le mieux cet opportunisme sans âme est celle de Tancredi au début du roman “pour que rien ne change, il faut que tout change”… L’idée de nation, du peuple italien, tout ça n’entre pas en considération pour lui et pour le prince de Salina. Seule compte la préservation des intérêts de la famille. Ce sentiment de supériorité sur le reste de la population est palpable tout au long du roman.
Le mariage de Tancredi avec la fille d’un parvenu aurait été infamant et dégradant, mais il faut savoir avaler des couleuvres pour survivre en ces temps politiques troublés…
Une déclaration d’amour
Ce roman est aussi, voire surtout, une grande déclaration d’amour à la Sicile. Les paysages sont très présents dans les descriptions, le mode de vie campagnard également. L’auteur rend tout à fait sensible l’atmosphère de l’île. Brûlée par le soleil, les personnages qui se retrouvent couverts de poussière lors des trajets à cheval car il ne pleut pas six mois sur douze… Le lecteur se laisse bercer par ces images évocatrices.
Le texte est empreint de nostalgie. La nostalgie de la grandeur autant pour l’aristocratie que pour le destin de cette île. En effet, la Sicile fut riche et puissante, comme ses nobles, mais à la fin du XIXe siècle, ces deux entités entament un long processus de décrépitude. On le voit avec les ruines de palais qui jalonnent la campagne, des grandes familles ruinées qui ont tout perdu.
Une esthétique forte
L’auteur s’attarde souvent sur les repas, il y a un vrai côté sensoriel, presque empreint de sensualité en cela. On peut même deviner la gourmandise de l’auteur dans certains passages. C’est le cas notamment lors de la scène de bal en l’honneur du couple Tancredi et Angelica, où le lecteur va saliver devant l’énumération ravie des pâtisseries… Toute la Sicile se trouve résumée dans ces gâteaux avec les amandes, les pistaches et les griottes confites.
L’auteur a su rendre l’ambiance de scènes entière en quelques mots, je cite ici cette expression, toujours au moment du bal : “dans la salle qui sentait bon la vanille, le vin, la poudre de riz”. Tout est dit, la chaleur, le confort, le divertissement, le luxe.
Savoir perdre avec panache
L’auteur s’attarde à décrire parmi les personnages secondaires, les réactions et les attitudes de chacun face aux changements politiques en cours. Les nobles qui choisissent l’exil, les opportunistes, les parvenus, quelle que soit leur classe sociale, l’Eglise qui se fait toute petite en attendant de voir… Les types humains sont parfaitement rendus et le lecteur sourit plus d’une fois.
Et pour le prince de Saline, l’incarnation de l’ordre ancien qui finit, il va falloir montrer patte blanche aux vainqueurs. S’asseoir sur toutes les valeurs avec lesquelles le personnage a construit toute sa vie pour pouvoir s’adapter au monde nouveau.
Peut-être le choix du guépard par l’auteur pour le blason de la famille Salina peut s’expliquer en regardant l’animal. C’est un prédateur redoutable et majestueux, le plus rapide de tous. Mais ce félin ne sait pas tenir la distance et s’essouffle vite, se faisant souvent voler son butin de chasse par les hyènes…
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