Résumé
Lady Susan, une jeune veuve, très belle et très intelligente, mais désargentée, s’installe chez sa belle-famille, au Château de Churchill.
Reginald De Courcy, lui-même en visite au château, ne tarde pas à s’éprendre de cette femme irrésistible, malgré les mises en garde de son entourage.
Mais que veut au juste Lady Susan ? Cherche-t-elle un mari ? Ou désire-t-elle seulement s’amuser ?
Un roman épistolaire
Il s’agit d’une œuvre de jeunesse de Jane Austen. Ella a écrit Lady Susan à vingt ans et bien que le texte soit court, on devine déjà l’écrivaine qui se révèlera dans ses romans plus aboutis.
A l’extrême fin du XVIIIe siècle, les romans épistolaires sont encore nombreux, ce qui explique sûrement le choix de l’auteure pour cette forme.
A première vue, on peut trouver cette façon d’écrire désuète. Mais je trouve au contraire que ces lettres, dans la fiction, permettent d’entrer beaucoup plus dans l’intimité des personnages, d’en connaître plus aussi sur leur profil psychologique.
En effet, avec la narration à la première personne du singulier au fil des échanges, le lecteur se sent tout de suite plus proche des personnages, comme s’il était le destinataire initial et le confident direct. Et l’humour de l’auteure est déjà là pour donner du rythme à l’intrigue.
Une héroïne austinienne unique
Lady Susan est avant tout remarquable grâce à son personnage principal, Lady Susan Vernon. Toutes les héroïnes de Jane Austen par la suite seront aux antipodes de cette femme qu’elle a choisi comme figure centrale.
Avant tout, elle est beaucoup plus âgée que toutes les autres, puisqu’elle a déjà au moins trente cinq ans. Ce sera aussi la seule veuve et mère. Et bien sûr, ce sera la seule figure féminine blâmable en tous points.
Jane Austen développera tout de même des personnages aux intentions et attitudes ambigües. Il suffit de penser dans Orgueil et Préjugés à Miss Bingley, hautaine, condescendante, superficielle et mauvaise langue. Ou encore, dans Mansfield Park, on aura Miss Crawford. Même Jane Fairfax, dans Emma, aura une petite part d’ombre avec ses fiançailles en secret. Mais aucune n’atteindra le niveau de Susan.
On ne badine pas avec le sentiment amoureux
Afin de parodier le titre de la pièce de Alfred de Musset, on ne doit pas jouer avec les sentiments des autres. C’est le message de Lady Susan et c’est la position que défendra toujours Jane Austen. L’auteure est, sur ce point, en accord avec les principes de bienséance et de bonne éducation de son temps. Chez elle, la morale et la grandeur d’âme priment toujours.
Lady Susan ne prône pas autre chose, puisqu’il est vite évident que cette femme est à réprouver. Avec les deux premières lettres, on la découvre menteuse, fourbe, impertinente, libertine (au sens ancien du terme, donc coquette et séductrice) et comme si ça ne suffisait pas, elle est aussi une très mauvaise mère.
Le tableau est donc chargé, c’est un portrait peu nuancé, ce qui laisse bien voir la jeunesse de l’auteure.
Lady Susan et Miss Crawford
Le personnage féminin le plus approchant dans les romans de Jane Austen est sans doute celui de Miss Crawford dans Mansfield Park. Mais la maturité de l’auteure a fait son œuvre entre les deux récits. En effet, Miss Crawford est aussi libertine, cherche à s’amuser en séduisant des hommes. Mais pour autant, son portrait est beaucoup plus profond, plus travaillé que celui de Susan Vernon.
Il est intéressant de mettre ces deux personnages en regard pour voir l’évolution dans l’écriture de Jane Austen et constater l’enrichissement de l’écriture qu’elle laisse percevoir lorsqu’elle façonne Miss Crawford.
Frederica Vernon, une inspiration pour Fanny Price ?
En lisant cet ouvrage, j’ai aussi été frappée à quel point la fille de Susan Vernon apparaît comme une figure précurseur pour la création de l’héroïne de Mansfield Park, Fanny Price.
Car dans Lady Susan, la véritable héroïne littéraire, qui doit surmonter quantités d’obstacles, manque de voir basculer son destin mais y fait face avec dignité, n’est-ce pas la fille unique de Susan ?
Dans l’une des lettres, la mère qualifie ainsi sa fille d’héroïne mais elle est moqueuse et furieuse. Toutefois, la figure de la jeune femme de bien soumise à la volonté tyrannique d’une mère indigne mérite bien ce qualificatif.
Les origines des personnages de Frederica et Fanny sont tout à fait différentes, mais on note des points communs majeurs. Elles viennent de familles désargentées, elles n’ont reçu presque aucune éducation. Mais malgré ce contexte familial difficile, chacune fait montre de qualités morales dignes de les sauver. Elles se montrent dignes, douces, polies, des qualités jugées fondamentales pour les femmes à ce moment-là. Autre époque…
Une conception novatrice du mariage
Mais la modernité de l’auteure se révèle, selon moi, par un autre aspect de ce récit, un aspect qu’on retrouvera dans tous ses romans par la suite. Les jeunes filles ne doivent pas être sacrifiées sur l’autel du mariage pour satisfaire les stratégies ou les ambitions de leurs parents.
Ainsi donc, Jane Austen nous livre sa vision sur le mariage arrangé. Dans une époque où les femmes n’avaient pas leur mot à dire, où les mariages servaient encore et surtout à renforcer les liens de pouvoir ou économiques entre deux familles, une telle vision prônant le mariage d’amour détonne !
Ce court texte reste une étape incontournable pour approfondir l’univers de Jane Austen.
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