Résumé
Dans De pain et de lait, Karolina Ramqvist explore ses madeleines proustiennes et nous invite à découvrir l’histoire culinaire et affective d’une famille sur trois générations. Elle se souvient de l’ivresse d’une orgie de clémentines, de la recette du riz au lait cuisiné par sa grand-mère et de l’amertume des crêpes laissées par sa mère pour le goûter qui lui signalaient qu’elle serait seule à la maison.
En retraçant son autobiographie par le prisme de la nourriture, Karolina Ramqvist interroge avec délicatesse ce qui l’a construite, et ce qu’elle tente de transmettre.
Un prisme original pour se raconter
J’ai trouvé ce livre très intéressant. Moi qui ne suis jamais très fan des autobiographies, en voici une qui m’a agréablement surprise. L’autrice a choisi de se raconter par la nourriture et le rapport parfois torturé qu’elle a pu entretenir avec.
Plutôt que d’avoir un récit de vie linéaire, chronologique depuis l’enfance, ce prisme par l’alimentation dynamise la construction de l’ouvrage et dépoussière le genre. Et par extension, la lecture aussi s’en trouve améliorée.
Au fil des souvenirs
Ce n’est donc pas le récit in extenso de la vie de Karolina Ramqvist. C’est plutôt une collection de petits tableaux, qu’elle évoque au fil de ses souvenirs. On presque la sensation qu’elle écrit simplement au fil de l’inspiration et raconte ce qui lui vient. Une sorte de flux vital, ou un procédé d’écriture à la Virginia Woolf avec le monologue intérieur.
On la découvre par touches. En vacances chez ses grands-parents maternels, dans son quotidien avec sa mère. Et parfois l’autrice évoque aussi des passages de sa vie de femme adulte. Le tout est orchestré avec une grande subtilité et on réfléchit à sa propre histoire en suivant celle de l’écrivaine qui se livre.
L’opposé d’un panégyrique
Ce qui me bloque souvent avec les biographies et autobiographies, c’est le côté récit de vie de saint. Avec l’essor du développement personnel, il semble souvent que les personnes qui choisissent de se raconter versent un peu dans ce travers. Regardez moi, j’ai souffert mais je suis là, là pour vous enseigner, pour vous expliquer le sens profond de la vie, etc. C’est sûrement un raccourci, j’en conviens. Mais c’est le sentiment qu’on peut avoir en tant que lecteur.
Or ici, Karolina Ramqvist développe un thème qui touche énormément de personnes. La relation à la nourriture. Cet élément fondamental de nos vies. A la fois besoin primaire et espace magnifié par la cuisine en famille, comme par celle des restaurants.
A quel moment bascule-t-on dans une relation néfaste avec cela ?
Une écriture authentique
J’ai vraiment beaucoup aimé la franchise de l’actrice dans sa façon d’évoquer sa vie avec un trouble du comportement alimentaire.
Sans chercher à tout nous raconter, elle en dit assez pour que le lecteur comprenne. Et ce qu’elle choisit de partager est bouleversant. Par la subtilité de la forme, la pudeur dans l’expression, la douleur du propos de fond ressort d’autant plus.
L’introspection culinaire
Force est de constater que c’est un thème que j’affectionne particulièrement pour mes lectures. Généralement on trouve cette idée dans des livres de fiction, Proust en tête avec la madeleine évidemment 🙂
Mais là, c’est magnifique de dépasser la seule action de création littéraire. Dans De pain et de lait, l’écrivaine fait plus que son métier. C’est une quête personnelle. Une introspection sans jugement ni concession. Après ce récit intime c’est sûr, on a envie de découvrir le travail d’invention littéraire de Karolina Ramqvist.
Et puis ce genre de texte, où la cuisine prend la première place, c’est aussi une manière selon moi d’universaliser le propos. En effet, c’est ce qui nous réunit tous et nous ramène à notre condition d’êtres humains. Bien sûr, les recettes varient d’une personne à l’autre, d’un pays à l’autre. Mais les histoires autour nous rassemblent. C’est un peu le même effet à la lecture qu’avec 961 heures à Beyrouth de Ryoko Sekiguchi. Tout sépare ces deux textes, sauf la place primordiale accordée à la cuisine. Et pas la grande cuisine, mais plutôt celle du quotidien, les rituels en famille, etc.
Une figure féministe
Bien que ce ne soit pas le centre du propos, le féminisme de l’autrice se ressent aussi dans ce texte. C’est une manière de ramener à des exemples concrets, parfois triviaux, des concepts qui peuvent sembler désincarner sans exemples auxquels se rattacher.
Et justement de trouver au fil de ce récit des situations du quotidien pour renforcer les convictions féministes, je trouve que c’est bien amené.
Cela montre aussi la place du féminisme dans la pensée de l’autrice et comment aussi cela a pu se construire peu à peu en elle.
C’est un livre touchant et riche de réflexions pertinentes également. L’écriture est très fluide et nous berce jusqu’au point final du récit.
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