Résumé
Fleur et Harmonie : les prénoms des deux héroïnes du roman de Marie-Sabine Roger sont, disons… un peu trompeurs. Car Fleur, âgée de 76 ans, est une dame obèse et phobique sociale. Et Harmonie, 26 ans, est atteinte du syndrome de Gilles de la Tourette. En clair, son langage est ordurier et elle ne peut retenir des gestes amples et violents. Bientôt rejointes par une bande de « bras cassés » émouvants et drôles, elles vont nous entraîner dans une série d’aventures.
Une histoire à deux voix
Marie Sabine Roger nous présente un roman à deux voix, au rythme enlevé ! On ne voit pas le temps passer à la lecture, tant on se retrouve porté certes par les péripéties mais je dirai aussi et surtout par le style de l’écrivaine.
J’ai vraiment adoré la construction du roman. On alterne entre le flux de pensée de Harmonie et les chapitres que Fleur écrit dans son journal intime. Il n’y a pratiquement pas de dialogues directs, toute l’histoire nous est proposée par le prisme, la compréhension, des deux héroïnes.
Marie Sabine Roger a souvent le don pour introduire une dose d’humour, de décalage dans ses textes. Et c’est encore le cas ici pour mon plus grand bonheur. Les passages écrits par Fleur surtout m’ont souvent fait rire aux éclats !
Un roman feel good
A tous et toutes qui avez aimé Ensemble c’est tout ou encore Amélie Poulain, vous passerez un très beau moment avec Bracassées 🙂 On est plongé dans une ambiance un peu semblable dans ces trois œuvres. Va se constituer un groupe hétéroclite, cabossé mais qui arrive à faire corps. C’est la célébration de tout ce que peuvent avoir de bon les rapports humains. La chaleur, l’entraide, la joie et redonner de l’optimisme pour regarder la vie !
Et ça fait du bien aussi de lire de tels ouvrages ! Se reposer un peu des mauvaises nouvelles en cascade des infos ou de sa propre réalité… Et s’évader dans un texte bienveillant et guilleret 🙂
Les clichés ont la peau dure
Ce roman est aussi l’occasion de se pencher sur cette habitude humaine maladive qui est de coller des étiquettes sur tout le monde. Vieille, grosse, bizarre etc. Fleur et Harmonie en font les frais au quotidien.
Mais ce sont elles les citoyennes, les vivantes de la société. Pas des photos trafiquées de publicité placardées partout. A trop regarder par le trou de la serrure qu’est la mode ou le cinéma, on oublie que ce n’est pas la réalité. La réalité, ce sont des êtres imparfaits, qui se débattent avec des problématiques spécifiques mais qui ont le droit d’exister. Tels quels. Sans artifices, et sans rougir non plus.
J’ai trouvé très beau le passage où en pleine rue, Harmonie commence à paniquer et pour l’aider face aux gens qui commencent à regarder, Fleur se fait à faire des claquettes. Leur duo cocasse surprend les passants qui finalement battent des mains et leur sourient. C’est aussi la leçon du texte.
La perception des autres découle beaucoup de la perception que l’on a de soi. Une femme âgée et obèse peut aussi savoir danser et lâcher prise, même si elle sera la première surprise!
A plusieurs on va plus loin
C’est l’autre “morale” de ce roman. Ces personnalités jugées atypiques (mais par qui ? le couple horriblement coincé, les voisins de Fleur ?) vont se serrer les coudes. Ensemble, ces femmes vont pouvoir aller plus loin. Et plus loin pour se faire accepter, ça passera par le recours à l’art. A ce titre, la dernière partie du roman est particulièrement belle et émouvante.
Mais au-delà du regard des autres à changer, c’est le regard que l’on se porte à soi-même qui est souvent le plus problématique. Sur ce point, c’est surtout chez Fleur que le changement est le plus perceptible. Au fil de son journal intime, on la sent reprendre du poil de la bête comme on dit !
La sororité plus que l’amour
Le point que je qualifierai de plus moderne dans Bracassées que dans Ensemble c’est tout ou Le fabuleux destin d’Amélie Poulain c’est que l’autrice n’a pas besoin d’introduire une histoire d’amour dans ce texte. Ce n’est pas un prince plus ou moins charmant qui représentera l’apothéose pour nos deux héroïnes.
Elles ont appris, ou réappris, à se tenir sur leurs deux jambes. Et au-delà de cet équilibre personnel toujours subtil, elles ont créé ou renforcé des liens d’amitié avec d’autres femmes. C’est une belle manière de souligner la nécessité des rapports humains sans toujours tomber dans le cliché de mettre les personnages en couple 🙂
Je repense à la série comique de Blanche Gardin La meilleure version de moi-même, où là les liens de sororité n’étaient pas sincères ou galvaudés. On a le pendant inverse ici, l’univers où cela se passe dans la joie !