Résumé
Stevens a passé sa vie à servir les autres, majordome pendant les années 1930 de l’influent Lord Darlington puis d’un riche Américain. Les temps ont changé et il n’est plus certain de satisfaire son employeur. Jusqu’à ce qu’il parte en voyage vers Miss Kenton, l’ancienne gouvernante qu’il aurait pu aimer, et songe face à la campagne anglaise au sens de sa loyauté et de ses choix passés…
La domesticité
Kazuo Ishiguro nous donne à voir le récit à la première personne de M. Stevens. Ce majordome toujours en activité va nous raconter sa vie. Et raconter sa vie, pour lui, c’est raconter sa vie professionnelle. En soi, c’est déjà un point très saillant dans le récit. Car, en effet, pour ce domestique tout en haut de la hiérarchie des métiers du service à la personne, sa vie se confond avec son travail.
Le récit prend place en 1956, Stevens est le majordome d’une grande demeure. Cela implique une équipe à plein temps pour s’occuper de tout. Une équipe nourrie et logée sur place. Des professionnels qui ne quittent pour ainsi dire pratiquement jamais leur lieu de travail.
J’ai lu au début de l’année le travail très intéressant de la sociologue Alizée Delpierre dans son livre Servir les riches. Et ce qu’elle décrit de la domesticité à notre époque c’est déjà ce que l’auteur nous montre à travers le regard de Stevens. Dès les premières pages, lorsque le majordome nous explique que son nouvel employeur emploie souvent un ton badin et qu’il n’est pas à l’aise sur la réponse qu’il doit faire dans ces cas-là, la fiction vient coller à la réalité de ce métier. En effet, les domestiques doivent toujours sonder, anticiper, prévoir les réactions de leur patron.
C’est un travail supplémentaire pour eux, au-delà de servir à proprement parler. Et il faut se former pour cela, comme Stevens tente de s’essayer à l’humour tout au long du roman, espérant mieux répondre aux exigences (supposées mais non dites clairement) de l’employeur.
Tout ce récit met en avant les traits spécifiques de la domesticité. Rester de marbre pour se faire humilier par un invité, répondre aux attentes de tous, même dans la vie privée garder une attitude qui fasse honneur à la maison, etc.
L’introspection
Ce roman est pour moi celui de l’introspection. L’action est finalement minime et non centrale dans le texte. Le majordome profite d’une semaine de congés pour sillonner la campagne et rejoindre une ancienne collègue. En soi, rien de palpitant. Mais le souffle de vie vient d’ailleurs. Il vient des anecdotes que Stevens rapporte de ses années de service.
Et par ses yeux, au-delà même de ses propres émotions, le roman prend une tout autre ampleur. Car Stevens n’est pas du genre à s’épancher.
Certes il nous parle. D’ailleurs, est-ce un texte adressé à un ami, un proche ? Une tribune pour la presse ? Les adresses directes émaillent le récit et nous laissent dans le flou sur ce point.
Un héros très anglais
Le personnage de Stevens est vraiment l’archétype de ce que l’on imagine de l’Anglais. Circonspect, flegmatique, sans intérêt pour les effusions. C’est aussi de ces clichés que naît l’humour bienveillant qui parcours le récit.
Mais au-delà de cela, qu’a été la vie de ce majordome finalement ? Une vie à servir, une vie à étouffer et même supprimer ses sentiments personnels… A travers les moments du passé que le héros nous raconte, on se prend certes de sympathie pour lui, mais aussi de pitié.
Une vie à passer à côté de la sienne propre, tout cela pour exceller dans son travail. On peut juger que c’est son droit, de privilégier une carrière à tout autre chose.
Mais se souvenir vingt ans après d’une collègue et “foncer” la voir à la suspicion que son mariage bat de l’aile…
Le récit de l’intime
Kazuo Ishiguro réussit parfaitement à brosser le portrait de son héros, bien au-delà de ce que pense le héros de lui-même. Par les personnages autour de lui, et même la narration de certains souvenirs, le lecteur est prié de voir plus loin.
Un récit à la première personne est toujours biaisé, romancé et parcellaire. Et toute la beauté de ce roman c’est de pousser plus loin. L’introspection de Stevens montre une chose, une carrière bien réussie. Mais tout le contexte va nous révéler à quel prix cette carrière a pu atteindre les sommets.
J’ai adoré le rythme de la narration, entre ce voyage en voiture et ses menues péripéties et le récit du passé. L’auteur nous amuse, nous émeut, éveille notre curiosité… Le tout enrobé dans une écriture soyeuse et voluptueuse ! Ces adjectifs me viennent spontanément, ils ne sont peut-être pas les plus clairs, mais c’est l’impression que j’ai eu en refermant le livre. L’écriture est pleine de charme et précise à la fois. Elle nous invite à la rêverie en même temps que le héros…