Résumé
« Les trésors que j’ai ramenés de là-bas sont immatériels et, lorsque le plume ne s’en saisit pas, ils disparaissent à jamais. Le romancier que je suis, amoureux de ces diamants éphémères, parfois très purs, parfois noirs, mais toujours uniques et bouleversants dans leur mystérieux éclat, est parti à leur recherche vers cette mine de richesse et de pauvreté inépuisable que l’on appelait jadis l’âme humaine – je dis « jadis », car le mot est passé de mode, avec son écho d’au-delà. » De Djibouti au Yémen, Romain Gary sillonne les terres brûlées et hostiles pour en rapporter un témoignage d’une rare force.
Les trésors de ma bibliothèque
Pour les articles à venir en ce mois d’août, j’ai décidé de relire des livres, depuis longtemps enfouis dans ma bibliothèque. Des titres qui m’ont marquée, chacun à leur façon, à la première lecture. Mais que reste-t-il de cette lecture dix ans plus tard ? Une citation, une image choc… Le sel, la saveur se perd. On a tous aimé certains ouvrages et quand on voit leur tranche sur l’étagère on se dit qu’on voudrait les relire mais il y a tant d’autres textes à découvrir… Et le temps passe.
On ne lira jamais tout, et je ne fais pas partie de ces gens qui accumulent des livres et n’en liront pas une partie. J’ai fait la paix avec le temps d’une vie et le nombre de volumes disponibles 🙂 Je préfère choisir avec soin chaque livre à la librairie. Et maintenant, voir comment ma compréhension de lecture peut changer au fil du temps face à un même texte.
Romain Gary, mon amour de jeunesse
J’ai lu les Trésors de la mer rouge adolescente, peut-être en seconde ou avant. Qu’en restait-il avant la seconde lecture ? Un sentiment de force et l’image qui me restera sûrement toujours, de ce qu’un médecin de brousse peut retrouver dans une plaie mal cicatrisée et infectée… Ado, en lisant des livres de Gary, j’avais la volonté et le sentiment de me confronter à la vie, la vraie. Avec sa prose franche, poétique à sa manière mais jamais loin des atrocités dont l’Homme est capable.
Quel bonheur de redécouvrir entièrement ce texte aujourd’hui ! J’aime toujours autant Romain Gary. Un auteur que je peux mieux comprendre, étant devenue adulte, avec des problèmes d’adulte et des valeurs à défendre dans ce monde 🙂
Ce texte n’est pas un roman, ce n’est pas un reportage, ce n’est pas vraiment un récit de voyage. Gary témoigne d’une réalité à un moment donné, à un endroit précis. Lui qui poursuit l’éphémère et tente de le figer.
Un idéaliste fatigué
C’est sans doute la première chose que j’ai pensé en refermant le livre. Romain Gary ne cache rien au lecteur. Ancré dans le contexte de son époque, le livre a été publié en 1971, l’auteur partage ses réflexions sur de nombreux sujets brûlants. Il peut être très cash ou ironique mais il assume ses opinions. Ainsi, son voyage à Djibouti est l’occasion de parler de l’échec colossal du colonialisme. Désastre pour les peuples longtemps soumis et pillés. Désastre aussi pour les militaires envoyés sur place. Ancien militaire lui-même, Gary n’oublie rien, n’épargne rien mais rappelle que derrière l’institution il y a de simples hommes qui morflent pour des intérêts peu clairs. Il est instructif de lire ce texte et les critiques qu’il contient en retenant qui l’a écrit. Un compagnon de la Libération, longtemps diplomate français. Un homme au-dessus donc du soupçon d’anti patriotisme. Et c’est là un axe crucial de ce texte dans sa postérité selon moi. Se souvenir que l’on a le droit de critiquer le passé ou le présent d’un pays sans se faire traiter de cinquième colonne…
Les Trésors de la mer rouge c’est aussi un coup dans le ventre à toutes les pages. La réalité décrite vous coupe le souffle. Devant l’indicible, la cruauté, la misère absolue. Même la nature est une force hostile, autant à Djibouti qu’au Yémen, dans la deuxième partie du texte.
Insérer la réalité dans la fiction
Ce texte précède de trois ans la publication du roman Les têtes de Stéphanie, en 1974. Il me semble que la fiction a pris forme dans ce témoignage de Romain Gary. En 1971, l’auteur dévoile crûment une réalité, avec laquelle il jouera dans un pastiche de roman d’espionnage par la suite.
L’incipit des deux œuvres se ressemblent, chacun prévenant le lecteur que s’il a acheté le livre en quête d’exotisme, d’orientalisme au sens forgé par Edward Saïd, il va être très déçu 😉
Les similitudes entre les récits sont multiples. L’action de Les têtes de Stéphanie se passera dans cette péninsule arabique, avec le désert et les décapitations omniprésents. “Le golf des Yéménites” comme Gary décrit cette mise à mort dans son témoignage.
Et même le personnage du consul de France reprend des traits du proconsul de Djibouti, un homme dont on n’est pas sûr s’il est soulagé ou triste quand il n’y a pas de crise…
C’est comme si l’amertume et la colère froide qui dominent Trésors de la mer rouge avaient trouvé leur exutoire de ce roman ironique s’il en est quelques années après.
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