Du trauma des études de lettres
Dans ce billet, je ne vous parle pas d’un roman en particulier. J’ai plutôt envie de réfléchir en vous écrivant à une certaine conception de la lecture. Une conception à laquelle j’ai longtemps souscrit. Puisque nous ne lirons jamais tout. Puisque tout a déjà été écrit et que l’innovation est impossible… Ne faut-il lire que les grands classiques ? Balayer d’un revers de main presque dédaigneux toute la littérature après… Après qui ? Disons après le Nouveau Roman ? Après Yourcenar ? Ou bien pas plus loin que Proust ? Ce qui est digne d’être lu s’arrête-t-il au XIXe siècle ?
J’ai l’impression que cette idée un peu snob est très propre aux anciens étudiants de lettres au sens large. Bercés de Grands Noms, de Grandes Théories, de Morceaux Magnifiques… Comment ne pas regarder de haut les simples mortels, écrivaillons de notre époque ? Et puis des classiques, ça en fait toujours un sacré paquet ! De quoi s’occuper et s’occuper encore en leur compagnie !
La Beauté, avec un grand B
C’est sûr, les auteurs classiques ne sont pas passés à la postérité pour rien. Certains ont révolutionné leur genre, d’autres en ont créé un nouveau. D’autres ont fait scandale… Et quelques-uns encore, tout à la fois.
Et attention, je ne suis pas en train de dire que les classiques sont surcotés, etc. Ils nous tendent un miroir de notre humanité, ils rendent la réalité de leur époque, ils forgent des personnages sublimes.
En choisissant un classique à lire, on sait déjà que la lecture va être riche, instructive. Que l’auteur va deliver. C’en est presque reposant finalement. Souvent on connaît même l’intrigue et le dénouement à l’avance. Et on entame la lecture en se disant, moi aussi. Moi aussi je vais lire ce chef d’œuvre et le trouver génial. Passons d’ailleurs sur les fois où la magie n’opère pas sur nous. Parce que là, on sait que c’est nous le problème 😀
Mais la Beauté a un prix
Est-ce que Virginia Woolf n’a pas tout dit en invoquant deux conditions pour pouvoir écrire ? Une chambre à soi, et l’indépendance financière. Et qu’ont en commun beaucoup de nos auteurs classiques français ? En plus d’être des hommes bien sûr 😉 Eh bien nombreux sont rentiers. Flaubert, Baudelaire, Proust… Même George Sand, l’une des très rares femmes, ne déroge pas à cette grande tendance. D’autres se sont grandement enrichis à la suite de la publication de leurs œuvres comme Hugo ou Balzac.
Donc, l’écriture est une affaire de milieu socio-culturel et une affaire de gros sous pour arriver en haut de l’affiche. Car il faut en effet avoir l’esprit bien dégagé des considérations matérielles pour travailler à son prochain grand roman ! Alors, on peut toujours trouver des contre-exemples, mais il y a une tendance à dégager.
On peut quand même imaginer sans difficulté le biais de ces personnalités dans leur approche de la société. Même si les inégalités n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui. Même si les gens de tous milieux avaient davantage l’occasion de se croiser. N’empêche.
Et dans un siècle qui ne fait pas cas des femmes dans tous les domaines. Ni dans la gestion de leur propre patrimoine, qui passe au mari et aux enfants, ni dans la poursuite d’ambitions de carrière sérieuse… Comment aurait-on pu avoir la parité ? On se retrouve donc avec nos Classiques. 99% d’auteurs masculins. Super.
La voix de l’autre moitié de l’humanité
C’est ce qui m’a fait changer d’avis sur une lecture de classiques à l’exclusion du reste. Je veux lire les récits d’autrices. Connaître leurs avis, leur vision du monde. Alors, d’accord, si on inclut le XXe siècle dans les classiques, on obtient plus de noms féminins. Colette, de Beauvoir, Duras ou Sarraute… Mais enfin, on reste toujours bien loin d’une égalité de traitement et de popularité des œuvres entre hommes et femmes.
Certains peuvent trouver que ramener la littérature dans des comptes d’épiciers féministes est hors de propos. Je ne le pense pas. La culture façonne aussi la manière dont nous regardons le monde. Il est important de varier les points de vue. Surtout sur les femmes.
Car elles sont souvent dans la ligne de mire de nos grands hommes. Emma Bovary, Boule de suif, Nana, Esmeralda, Albertine.
Des personnages que l’on connaît tous aujourd’hui. Mais à y regarder… Une femme infidèle, deux prostituées, une étrangère stigmatisée, et une femme décrite comme vicieuse, menteuse, etc. Bonjour le tableau. Hauts les cœurs messieurs !
La littérature contemporaine
Alors, c’est sûr, la littérature contemporaine comporte sa part de hasard. On choisit un livre peut-être un peu au hasard et on se lance. Sans connaître la fin 😀 Mais cela n’empêche pas de découvrir des plumes sublimes, subtiles et envoûtantes.
Des récits qui n’ont pas souvent le souci du style comme pouvait l’avoir un Flaubert, je le concède. Mais pour autant, toute la production pléthorique actuelle ne se limite pas à un divertissement bas de gamme.
N’oublions pas, les classiques de demain se publient en ce moment 💘