Résumé
Rachel, la mère de Thomas, a partagé sa vie avec deux hommes. Tous deux s’appelaient Rowland Vanderlinden. Le premier, parti pour un long voyage, n’est jamais revenu. Le second, elle l’a aimé passionnément, sans poser aucune question. Quelle est l’identité de cet imposteur ? Et qu’est-il arrivé au premier Rowland Vanderlinden ? Thomas est déterminé à percer les secrets de ce double mystère…
Heureux hasard
J’ai lu ce livre il y a de nombreuses années. Je suis retombée dessus récemment, et comme pour d’autres, aucun souvenir. Juste un gros blanc et aucune illumination en lisant la quatrième de couverture. Qu’à cela ne tienne, il suffisait de le relire !
Une odyssée au XXe siècle
Est-il encore possible de vivre une odyssée dans notre aire de modernité ? Est-ce que les pérégrinations appartiennent à un monde révolu ? L’épouse hollandaise vient nous prouver qu’il reste possible de dériver. De dériver sur les océans, mais aussi simplement de se laisser porter par la pensée et de poursuivre l’odyssée lors de voyages en train par exemple.
Ce terme d’odyssée me trottait dans la tête au fil de la lecture pour une autre raison.
J’avais l’impression de voir une réécriture contemporaine de l’Odyssée d’Homère.
Cette épopée familiale se déroule sur plusieurs décennies et le point de départ de la quête identitaire c’est Rachel. Au crépuscule de sa vie, elle veut connaître certaines réponses et envoie son fils par delà les mers trouver le seul homme qui pourra les lui donner. C’est un peu comme si Pénélope avait envoyé Télémaque à la recherche d’Ulysse, dans une version de l’histoire où il ne serait jamais rentré de son périple.
On a ces personnages qui traversent des continents entiers, des océans… La geste épique est bien présente. Et dans le récit de Rowland, bon nombre de passages peuvent tenir lieu d’épreuves lancées sur son chemin par le destin. C’est un aventurier qui a connu des drames, des amours passionnantes, qui a frôlé la mort plusieurs fois… Il est bien à la hauteur d’Ulysse aux mille ruses 🙂
Une structure fluctuante
Et la filiation avec les récits antiques ou encore ceux du Moyen-Âge ne s’arrête pas. En effet, l’auteur a choisi de renouer avec une technique de narration qui a longtemps était la norme dans les romans.
Au début des récits écrits de fiction, la forme du roman était le petit poucet à côté des écrits sérieux. Médecine, religion, etc… Difficile de se faire une place et la première qui a été attribuée aux romans a été : un truc pour les femmes… Dans ce contexte, pour se donner une légitimité et une certaine contenance, les auteurs utilisaient très souvent un subterfuge que Eric McCormack emploie à son tour.
Au début du récit, avant même d’entamer le récit à proprement parler, le lecteur est pris à parti et on lui explique que l’histoire qu’il s’apprête à découvrir n’a rien d’inventé. Au contraire, l’auteur a été témoin des faits qui relate ou bien, on lui en a confié la teneur comme c’est le cas ici 🙂 J’ai adoré ce clin d’œil à une autre époque !
Dans la même veine, ce texte s’inscrit aussi dans une temporalité plus large du récit, voire du conte. En effet, le narrateur écoute l’histoire que lui livre son voisin Thomas. Et une partie même du récit est ce que Thomas a lui-même recueilli de Rowland. C’est donc le schéma ancestral de la transmission orale qui se perpétue. Comme L’Odyssée, comme la Chanson de Roland, avant d’être couchés sur le papier, ces textes ont eu une vie antérieure. Une vie à l’oral, passée de bouche à oreille…
Une intrigue fascinante et exotique
Cet ancrage dans les racines profondes de la littérature occidentale vient parfaitement compléter cette histoire familiale hors du commun que propose l’auteur. Avec des flashbacks et les récits de différents personnages enchâssés, l’auteur impose son rythme. Sans longueurs ni ennui, on se laisse bercer et on avance à petits pas.
On fait notre propre tour de la planète à la suite des personnages. On est enveloppés dans une sorte de torpeur, le temps semble s’écouler lentement. Ce faux rythme lent ne sert qu’à nous fendre un plus fort le cœur lors de certains passages particulièrement dramatiques.
Comme cette sensation que l’on connaît tous. On s’enfonce dans un sommeil bienheureux et puis vient ce rêve fugace mais puissant, la sensation de perdre pied et de tomber brusquement. Le réveil, les sensations qui en découlent, c’est un peu ce que nous impose ce roman par moments.
Les aventuriers de l’ère moderne
A travers ces deux personnages, Thomas et Rowland, c’est la figure de l’aventurier que l’on suit au fil des pérégrinations. Au XXe siècle, on peut se dire qu’il ne restait pas grand chose à explorer. Mais c’est oublier ces quelques personnalités excentriques qui ont continué de vouloir voir du pays. Ce roman m’a ainsi rappelé les poèmes de Blaise Cendrars. C’était lui aussi un grand voyageur, qui fait fusionner dans son art la modernité des cargos, du téléphone, des autos avec l’exotisme des lieux qu’il visitait pour la première fois. La même magie est aussi palpable dans ce récit.