Résumé
Parce qu’elle était sans nouvelles de Gyl, qu’elle avait naguère aimé, la narratrice est partie sur ses traces. Dans le transsibérien qui la conduit à Irkoutsk, Anne s’interroge sur cet homme qui, plutôt que de renoncer aux utopies auxquelles ils avaient cru, tente de construire sur les bords du Baïkal un nouveau monde idéal.
À la faveur des rencontres dans le train et sur les quais, des paysages qui défilent et aussi de ses lectures, elle laisse vagabonder ses pensées, qui la renvoient sans cesse à la vieille dame qu’elle a laissée à Paris. Clémence Barrot doit l’attendre sur son canapé rouge, au fond de l’appartement d’où elle ne sort plus guère. Elle brûle sans doute de connaître la suite des aventures d’Olympe de Gouges, auteur de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, de Marion du Faouët qui, à la tête de sa troupe de brigands, redistribuait aux miséreux le fruit de ses rapines, et surtout de Milena Jesenská qui avait traversé la Moldau à la nage pour ne pas laisser attendre son amant. Autour du destin de ces femmes libres, courageuses et rebelles, dont Anne lisait la vie à l’ancienne modiste, une belle complicité s’est tissée, faite de confidences et de souvenirs partagés. À mesure que se poursuit le voyage, les retrouvailles avec Gyl perdent de leur importance. Arrivée à son village, Anne ne cherchera même pas à le rencontrer…
Dans le miroir que lui tend de son canapé rouge Clémence, l’éternelle amoureuse, elle a trouvé ce qui l’a entraînée si loin : les raisons de continuer, malgré les amours perdues, les révolutions ratées et le temps qui a passé.
Ceci n’est pas un carnet de voyage
J’avais lu ce livre au lycée je crois, trop jeune en tout cas. Je n’avais pas pu l’apprécier à sa juste valeur. Je cherchais juste un roman dépaysant sur les grands espaces en Russie et j’avais été déçue du récit. Quel bonheur de le redécouvrir entièrement quinze ans plus tard.
Ce n’est donc pas un roman sur le voyage comme on pourrait l’imaginer en s’accrochant aux mots du résumé transsibérien, lac Baïkal, etc. Le voyage qu’entreprend la narratrice est intime et intérieur.
Il lui faut aller jusqu’en Sibérie pour tourner définitivement la page de son passé et accepter son présent, son quotidien à Paris. Son voyage physique ne sera finalement que le vecteur d’un changement personnel. C’est une femme à un moment charnière de sa vie, la possibilité d’avoir des enfants est derrière elle, les amours aussi semble-t-il et la perspective de la vieillesse lui fait peur.
La raison du voyage est de se raccrocher encore au passé mais ce que le personnage retirera de son expédition est tout autre. Et non pas inspiré par cet ancien amant mais par sa voisine du dessous à Paris.
La quête des souvenirs
La narratrice a en effet noué une relation d’amitié avec sa voisine, Clémence. Une femme âgée dont elle égaie parfois le quotidien en lui faisant la lecture des vies de femmes exceptionnelles. Mais Clémence perd peu à peu la mémoire, ses souvenirs disparaissent dans un brouillard inexorable. Et toute la structure du récit m’a rappelé ce délitement progressif de la mémoire dû à la maladie.
En effet, ce train qui avance, au milieu de paysages toujours plus ou moins semblables, fait perdre ses repères à la narratrice. On oscille avec elle entre souvenirs et anticipations de moments plus lointains dans le récit. Elle se perd entre passé, présent et futur, comme son amie Clémence. Le temps ne suit plus une ligne linéaire et facile, mais il faut réussir à profiter de ce que chaque pensée peut apporter.
Une histoire d’amitié
C’est la beauté subtile de ce roman. Partie courir après un amour, la narratrice est impatiente de rentrer afin de retrouver son amie. Malgré la différence d’âge, malgré la maladie qui s’installe dans la tête de Clémence, des liens sont possibles et joyeux entre ces deux personnages. En convoquant d’autres femmes pour animer leurs discussions, c’est comme si s’incarner une grande sororité.
Et la relation n’est pas à sens unique. Ce n’est pas la narratrice qui est altruiste et veut bien donner de son temps pour une personne âgée. Non, c’est une relation d’égale à égale, Clémence aussi a des expériences à partager. Son grand amour perdu, sa joie de vivre… Et ne jamais abandonner !
L’angoisse de l’âge de raison
Michèle Lesbre livre aussi dans ce roman une des recettes possibles pour supporter et traverser “l’âge de raison”. Cet âge, propre à chacun, où l’on se rend compte des illusions d’hier, de l’impuissance face à la réalité. Après ce constat, l’auteure nous encourage à ne pas déprimer, mais plutôt à chercher de nouveaux départs, où qu’ils soient. Pour se souvenir de la beauté fragile de la vie 🙂