Résumé
En exhumant à Moscou le journal inédit d’Ivan Maïski, l’historien Gabriel Gorodetsky a mis la main sur une véritable pépite. Ambassadeur à Londres de 1932 à 1943, Maïski a joué un rôle politique et diplomatique majeur. Convaincu que Hitler vise dès son avènement à la domination universelle et à la destruction de l’URSS, il n’aura de cesse d’en convaincre ses interlocuteurs anglais – obnubilés par la peur des Rouges – mais aussi soviétiques, à commencer par son chef suprême et redouté Staline.
Des mémoires d’une importance historique indéniable
Par la publication de ce journal en 2015, en français en 2017, Gabriel Gorodetsky ajoute sa pierre à l’édifice de la compréhension de cette période avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Et quelle pierre à l’édifice !
Ivan Maïski a tenu un journal personnel précis et fourmillant de détails durant les onze années qu’il a passées en poste à l’ambassade soviétique de Londres. Un poste d’observation privilégié sur la situation en Europe depuis l’avènement d’Hitler jusqu’à la guerre.
Alors que les purges massives décidées par Staline ont réduit au science la plupart des cadres soviétiques, ce témoignage écrit est vraiment exceptionnel. Ce contexte aussi de terreur stalinienne doit tout de même rester présent à la lecture de ce journal. En effet, il est évident que Maïski écrivait en imaginant qu’un jour l’ensemble soit lu par sa hiérarchie. Ce n’est donc pas un texte brut et intime mais un témoignage réfléchi où l’autocensure a forcément eu une grande place.
Pour autant, cela n’entache pas l’importance de découvrir aujourd’hui les tractations diplomatiques de l’époque, surtout du point de vue d’un Soviétique. L’URSS inquiétait plus que Hitler au début des années 30 et il faudra un mariage de raison uniquement pour que les Occidentaux s’allient avec, avant de retourner à un affrontement à peine la guerre finie.
De la diplomatie et des petits fours
Au-delà des entrées du journal consacrées à la montée des tensions en Europe, puis à la guerre, Ivan Maïski rapporte aussi largement le quotidien de sa vie à l’ambassade.
Cet aspect consacré aux mondanités permet aussi de découvrir “l’ordinaire” des diplomates en poste, les rencontres avec des hommes politiques locaux, des intellectuels, d’autres diplomates étrangers etc.
À la lecture, cela constitue une parenthèse agréable, quelque chose qui pique la curiosité sur des sujets plus légers ! Les photographies présentes dans l’édition des Belles Lettres, permettent encore plus de se faire une idée du cadre de vie du diplomate et de son entourage.
La guerre d’Espagne
A partir de 1936, Maïski aborde aussi largement la situation de la guerre civile en Espagne. Opposant un gouvernement légitime de gauche à un coup d’Etat militaire qui porte au pouvoir Franco.
Cette attention marquée découle bien sûr de la proximité idéologique qui existe entre le gouvernement renversé et l’Union Soviétique. Encore une fois, c’est découvrir en contrepoint ce que ce changement de régime a pu déclencher comme réaction du côté des Soviétiques, tandis que les Occidentaux ont littéralement laissé faire. Les “Rouges” étaient l’ennemi à abattre, même avant une dictature militaire.
J’ai particulièrement été frappée de ce que signale Maïski à propos de la France dans ce contexte. C’est sûrement pour moi le passage qui me restera le plus en mémoire.
Les camps dans le sud de la France
En effet, qui se souvient de l’existence de camps de concentration mis en place en urgence par le gouvernement français pour faire face à l’afflux des réfugiés espagnols fuyant la guerre et les persécutions politiques ? L’appellation n’est pas galvaudée quand on vérifie les paramètres : un camp rudimentaire pour dire le moins, pour une population ciblée, gardé par des gendarmes, pas de libre circulation pour les occupants… Maïski souligne l’ignominie de cet accueil et pressent qu’on se souviendra de la France pour cette décision odieuse.
Etant d’origine catalane et ignorant tout de cette réalité historique, cette lecture m’a permis de faire d’autres recherches sur ces camps. Des camps dispersés pour la majorité dans les Pyrénées-Orientales, des camps qui ont servi juste quelques années plus tard pour y des tziganes, des juifs et encore plus tard, des réfugiés Harkis… Tous ces camps n’existent plus, rasés pour la plupart. Il existe toutefois à Rivesaltes un mémorial. A côté des ruines de ce que fut le camp dans cette bourgade, le mémorial retrace tout ce pan méconnu de notre histoire. Je recommande vivement sa visite.
La guerre en direct
Plus largement, ce journal permet au lecteur de découvrir les tractations politiques et les manœuvres militaires presque au jour le jour, jusqu’en 1943 date du rappel du diplomate à Moscou.
C’est une autre façon de prendre conscience d’abord de la montée des tensions puis du déclenchement des hostilités. Là encore, les entrées du journal qui suivent notamment la défaite puis la capitulation de la France font réfléchir.
C’est aussi l’ambiance et les émotions qu’ont provoqué la guerre qui sont rendues palpables grâce à ce journal. Une dimension forcément toujours absente des manuels d’histoire.
Ce journal est en somme une nouvelle clé de compréhension pour la période 1932-1943, avec un point de vue rare, celui d’un diplomate soviétique en poste et fidèle au parti communiste durant toute sa carrière passée à l’Ouest.
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