Résumé
Orpheline de mère, seule auprès d’un père en mauvaise santé, Emma Woodhouse, désormais la maîtresse de maison, s’est mis en tête de marier Harriet Smith, une jeune fille pauvre qu’elle a pris sous sa protection. Ce faisant, ne s’est-elle pas attribué un rôle qui n’est pas (ou pas encore) pour elle ? Son inexpérience des cœurs et des êtres, ses propres émotions amoureuses, qu’elle ne sait guère interpréter ou traduire, lui vaudront bien des déconvenues et des découvertes.
Un roman dense
Le roman Emma a été publié anonymement par Jane Austen en 1816. C’est le livre le plus abouti de l’auteure. On y retrouve tous les marqueurs qui font aujourd’hui de Jane Austen une grande écrivaine, mais tous les curseurs y sont poussés ici au maximum.
Elle peint le tableau précis et détaillé de la petite noblesse campagnarde anglaise, le milieu social qu’elle a fréquenté tout au long de sa vie. Elle épingle les travers et les défauts des gens, sans jamais se départir de ses traits d’humour qui sont passés à la postérité. On retrouve cette caractéristique dans chacun de ses six romans mais aucun n’égale Emma dans l’attention aux détails et aux subtilités des relations de voisinage dans un même petit village. Dans Orgueil et Préjugés, Persuasion, Northanger Abbey les héroïnes ont l’occasion de voyager, même si ce n’est pas, relativement, pas si loin de chez elle. Ce n’est pas le cas dans Emma.
L’action reste circonscrite au village et ses alentours. On pourrait craindre un certain ennui, de la redondance. Il n’en est rien. Jane Austen fait connaître au lecteur toutes ces vies tranquilles qui s’entremêlent et se croisent. Et, justement, pour contrer l’ennui qui risquerait de pointer le bout de son nez, l’héroïne, Emma, a plus d’un tour dans son sac. Débordante d’imagination et occupant une position sociale dominante, elle peut à loisir diriger son monde et imposer ses fantaisies.
Emma, un portrait psychologique en profondeur
De même pour l’héroïne, le lecteur retrouve (ou va découvrir) les marqueurs de l’auteure. Une figure féminine jeune, forte, dont la narration va suivre le point de vue tout au long de l’histoire.
Mais chacune de ses héroïnes se démarque par un profil psychologique différent. Emma est une personnalité complexe, dont les défauts ne sont pas tus au lecteur. Elle est un peu superficielle, peu assidue dans son éducation, elle se révèlera égoïste plus d’une fois… Ce sont même les défauts qui permettent de comprendre Emma et les choix qu’elle opère dans sa vie de tous les jours.
Au fil du récit, on n’est pas toujours d’accord avec Emma. Le lecteur réagit devant certaines scènes ou s’amuse de la voir s’empêtrer dans des situations dont elle ne comprend pas tous les tenants et aboutissants.
C’est un personnage attachant, lumineux, joyeux. Cette dimension de la joie, d’ailleurs, est assez remarquable dans l’œuvre de Jane Austen. Emma est sûrement son héroïne la plus lumineuse, celle qui n’est pas marquée par un passé difficile ou qui ne souffre pas, du moins peut-on le croire au début, de par la main du destin. Tout va bien pour elle, si bien qu’il lui faut chercher dans son entourage des causes à défendre, des événements à faire advenir. Sous peine de risquer de s’ennuyer !
Caprices et préjugés
Ce pourrait être le sous-titre de cette œuvre ample, où les sous-intrigues abondent. Emma veut se mêler de tout, se rêve à grande entremetteuse, la main heureuse de Cupidon. Mais de l’imagination à la réalité il y a un large fossé… Elle se croit perspicace, ayant des coups d’avance sur ses proches, serait-ce la vanité de la jeunesse dépeinte ici ? Heureusement que le sage et compréhensif M. Knightley tente de la réfréner dans ses envolées romanesques !
Car à trop s’occuper des autres, Emma ne risque-t-elle pas de laisser filer son propre bonheur ? L’amour reste le sujet de ce roman et il est partout ! Les couples fabriqués de toutes pièces, les couples cachés, les âmes sœurs qui s’ignorent, l’amour simple contrarié… Toutes les facettes des histoires d’amour possible prennent corps dans ce texte d’une richesse infinie. Le lecteur, par la narration omnisciente, a lui un coup d’avance certain sur Emma mais il sera surpris malgré tout !
Une œuvre à replacer dans son contexte
Les histoires d’amour sont intemporelles chez Jane Austen. A peine peut-on signaler que certaines des postures des personnages masculins passeraient aujourd’hui pour une tendance au mansplaining. Je pense toutefois que pour le tout début du XIXe siècle Jane Austen a incarné en son temps la modernité. Une femme écrivaine, publiée et reconnue de son vivant, avec des histoires portant haut les personnages féminins, tout cela suffit à affirmer le côté novateur de l’œuvre, pour l’époque. Le contexte historique s’applique à tous ceux qui le vivent. Ses héroïnes cherchent l’amour, et les figures masculines portent les traits du temps…
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