Résumé
Sur les rivages de la mer de Chine méridionale, le sultanat de Brunei, petit pays d’or (noir) et de jungle, mène, dans un décor des Mille et Une Nuits, une existence prospère et en apparence paisible. Pourtant, un coup d’État d’un nouveau type va s’y dérouler et le livrer « clefs en main » à une grande entreprise californienne du numérique.
Flora est la petite-fille d’un célèbre mercenaire qui a passé sa vie à renverser des pouvoirs établis. Fascinée par son exemple, elle s’engage dans le milieu dangereux des agences de sécurité privées. Elle se retrouve plongée au cœur de cette opération de subversion sans précédent.
Ce grand roman d’aventures contemporain met en scène à la fois le basculement d’un pays et le parcours d’une femme, habitée par un irrépressible goût de l’action, de l’interdit et du danger.
Un roman d’aventure contemporain
Qu’est-ce qui constitue à notre époque un roman d’aventure ? Un livre, un texte, peut-il mieux transmettre l’exaltation, le cœur qui bat la chamade, le suspense des grandes épopées façon Marvel ? Un roman sur des mercenaires en opération peut-il être aussi captivant que le premier film d’action venu et son déluge d’explosions ?
Ce sont les questions que je me posais avant d’entamer D’or et de jungle. Je l’ai dévoré et j’avais les réponses à mes interrogations dès les premiers chapitres ! Quelle belle lecture et quel beau suspense. Car l’auteur n’a pas choisi de nous présenter ce qu’on nous présente toujours dans les films d’action. Ce n’est pas les types dans la boue, les fusillades à n’en plus finir etc… Non, le sujet de ce texte, c’est où et comment naissent ces black ops. Qui peut vouloir commanditer un coup d’Etat ? Pour quel motif ? Et l’engagement de mercenaires sur le terrain se résume-t-il simplement à une bande de soudards lâchés dans la nature ?
Avec brio, Jean-Christophe Rufin construit patiemment son édifice narratif. Et la tension monte lentement mais sûrement. C’est un peu l’idée du conte de la grenouille bouillie. Jetée vive dans l’eau bouillante, elle va vouloir fuir. Mais mise à l’eau chauffée au fur et à mesure, elle ne se rendra compte de rien… C’est la sensation du lecteur en avançant dans l’histoire et c’est peut-être aussi le destin de certains personnages ?
Un texte documenté
J’aime aussi beaucoup (énormément), lorsque les auteurs font de véritables recherches pour produire leur œuvre de fiction. Je trouve que les textes ainsi pensés en sortent toujours grandement enrichis. C’est le cas avec John Le Carré pour La constance du jardinier par exemple. Et ici, la postface détaille justement le voyage de l’auteur sur place et ses différentes recherches sur le sujet.
Cela rend le propos encore plus proche de notre réalité et bien sûr, cela sert aussi parfaitement à gommer, flouter, la ligne entre fiction et réalité. On se prend au jeu, on imagine si c’était vrai, on repense à certains faits divers ailleurs dans le monde, etc… Bref, on est suspendu à la plume de l’auteur, dont on dévore les mots pour arriver à la phrase suivante. Et puis la suivante et ainsi de suite…
Des personnages au second plan
Le corollaire de cette histoire particulièrement puissante et impactante, c’est la relégation des personnages au second plan. Quand je réfléchis au différents protagonistes, J’ai l’impression de les voir tous transparents. Ils sont pourtant décrits, chacun dans son rôle précis.
Mais finalement, eux ou d’autres, ce serait du pareil au même. On ne s’attache pas vraiment à eux car ils ne sont pas le cœur du récit. Le récit c’est le coup d’Etat. Comment on peut déclencher des événements à la chaîne dans ce but précis. Par quels rouages. Et les personnages, Flora et les autres, on peut les imaginer interchangeables. De vrais expendables, des personnes que l’on peut renier, abandonner, utiliser, remplacer. Le lot des mercenaires derrière les fantames et surtout derrière les crimes de guerre…
Un goût doux-amer
L’écriture est parfaite, concise et précise. Elle est vraiment au service du texte. Pas de fioritures à l’excès, pas d’envolées lyriques, on reste dans du concret. Cette écriture illustre parfaitement le propos et on se laisse glisser jusqu’au dénouement.
Ce roman se dévore et j’ai adoré cette lecture de bout en bout. En l’achevant, on est un peu partagé entre le très bon moment de fiction et la déprime de faire la liste de tous les événements réels que l’auteur a recyclé pour écrire l’histoire…
Car derrière l’aventure, c’est aussi une certaine vision et réflexion sur notre monde actuel qui se profile. Une interprétation possible de l’avenir ou du moins des idées qui donnent à réfléchir. Et dans cette fiction comme bien trop souvent dans notre réalité, on ne peut que remarquer ceux qui en souffrent en premier : les populations démunies qui subissent les décisions prises plus haut ou prises ailleurs.