Dans notre époque d’inégalités sociales galopantes, il est intéressant de voir comment les fictions s’emparent du sujet que sont devenus les 1% les plus riches. Et pas que la fiction d’ailleurs. Sur Youtube, les vidéos luxury house tours et visites des demeures des stars pullulent. La série Gossip Girl sur la jeunesse huppée de New York ne date pas d’hier non plus. D’où vient cette fascination pour le mode de vie des plus riches ? Est-ce une forme de voyeurisme, de l’envie, ou une pure recherche parnassienne du beau ? 😉
J’ai donc eu envie d’opposer deux fictions aux “extrêmes” sur ce sujet. D’un côté du spectre il y a la série And just like that, comme porte étendard de la fascination pour la vie des privilégiés. A l’autre bout du spectre, on peut y mettre le livre de Kevin Lambert, Que notre joie demeure.
Résumé And just like that
Un regard incisif, irrévérencieux et parfois bouleversant sur l’amour, le sexe et l’amitié à New York passé 50 ans. Entre l’Upper East Side de Manhattan et le quartier du Village, un groupe de femmes doit affronter les affres de la vieillesse, du temps qui passe, des mariages qui se transforment en divorces, des enfants qui grandissent, des pressions sociales sur l’apparence et la réussite…
Résumé que notre joie demeure
Architecte millionnaire partie de rien, Céline Wachowski a sa série sur Netflix et des contrats dans le monde entier. Égérie de la modernité, elle est convaincue d’apporter de la beauté au monde. Mais voilà, son projet le plus ambitieux est stoppé net par une polémique : accusée de favoriser la gentrification, elle voit condamnées sa stratégie et ses méthodes de travail. En quelques jours, elle est renvoyée de sa propre entreprise, et amorce une traversée du désert qui l’amène à une méditation sur la culpabilité. Quand l’élite perd pied, quel récit conçoit-elle pour justifier ses privilèges et asseoir sa place dans un monde dont elle a elle-même établi les règles ?
Des fictions sur les femmes
C’est le deuxième point commun entre la série et le roman tout juste primé du Prix Médicis. And just like that est la suite de la série mythique de la fin des années 1990 Sex and the city. Sans Samantha pour cette nouvelle mouture, ce sont donc les trois amies iconiques que nous retrouvons, entourées de leurs nouvelles copines.
La majorité d’entre elles a passé la cinquantaine et pour l’audiovisuel c’est en soi une petite révolution que de s’intéresser à ces femmes qui, selon les diktats du milieu, semblent avoir dépassé la date de “péremption”… Si ce n’est pour jouer les mamans et mamies gâteau, point de femmes over forty à l’horizon californien !
Que notre joie demeure se centre aussi sur une femme âgée, son héroïne Céline. Il y a de nombreuses autres femmes parmi les personnages secondaires même si dans ce récit très ramassé, la focale ne quitte jamais Céline, on ne saura presque rien des autres ou alors quelques détails à peine, à glaner tout au long du texte.
Là-dessus, ces deux fictions sont le pur produit de la plus récente vague de féminisme, qui a déferlé grâce au mouvement #MeToo.
Mais la vie des femmes continue
Or, truc incroyable, la vie des femmes continue après quarante ans, même si on les invisibilise. Et c’est en ça que je trouve très intéressant de rapprocher le roman et la série. Ce ne sont pas des nymphettes comme à l’époque de Gossip Girl, autre monument de la pop culture sur les ultras riches.
Ici, chaque héroïne avance dans la vie, les certitudes peuvent être ébranlées, dans le couple, dans la carrière professionnelle, il faut forcément faire face au changement… Ça fait du bien de voir ce que deviennent les proverbiales princesses, après le “ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants”…
Bisounours versus réalité
Mais passé le sujet commun et l’attention aux personnages féminins, les deux fictions divergent radicalement. And just like that ressemble finalement à un magazine féminin sur papier glacé. Des tenues haute couture extravagantes, peu de travail et beaucoup de brunchs, vernissages, shopping de luxe… Une bulle hors sol qui est là pour délasser, faire rêver, faire de la pub aussi pour des sacs, des chaussures, etc.
Kevin Lambert oriente son roman pour en faire une sorte de manifeste contre ces 1% les plus riches. Son héroïne lui permet de parler de la crise du logement au Québec, mais il n’est pas difficile d’extrapoler, de l’optimisation fiscale, de leur empreinte écologique, etc… Et surtout, cette femme milliardaire incarne à merveille tous les ressorts à la disposition de ces puissants pour retomber sur leurs pattes même après un scandale.
En définitive, la série et le roman incarnent, chacun à sa manière, les préoccupations actuelles. A la fois les attentes de justice sociale, de protection de l’environnement mais aussi, le fait que le monde du luxe ne se soit jamais aussi bien porté.
Un classique pour mettre en perspective les fictions actuelles
D’ailleurs, je pense que le roman qui a le mieux incarné la symbiose impossible entre ces deux pôles politiques reste Lady L. Romain Gary, avec son humour habituel, faisait déjà, dans les années 50, d’une anarchiste une grande dame incontournable dans la haute société britannique…
Entre ceux qui veulent leur part et ceux qui dénoncent les excès de cette petite caste, une chose est sûre. Ecrire sur les ultra riches fait vendre !