Résumé
Hiver 1627. Un vieux manuscrit byzantin abandonne l’ombre protectrice d’un monastère grec. Il quitte les montagnes chypriotes pour le royaume de France. En Méditerranée, il échappe aux pirates barbaresques. A Marseille, il découvre un port où les épices et la soie de l’Orient croisent le drap flamand. Son aventure périlleuse se poursuit sur les routes de Provence jusqu’à Aix où un homme l’attend avec impatience. Cet homme s’appelle Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (1580-1637). Il recherche sans relâche manuscrits, médailles, antiquités, animaux exotiques. Sans quitter la France, il mène sa traque dans toute l’Europe et le pourtour méditerranéen, depuis les bibliothèques italiennes et londoniennes jusqu’aux monastères du désert au cœur du Sahara. Il s’est constitué le plus important réseau de correspondance de son temps, dialoguant avec d’obscurs marchands ou des chasseurs de trésors, mais aussi avec Gassendi, Mersenne, Galilée, Rubens… En même temps, il œuvre au centre du pouvoir, auprès de Guillaume du Vair, le garde des Sceaux de Louis XIII et il côtoie Francesco Barberini, le neveu du pape Urbain VIII. Pourtant, malgré sa puissance, il n’use de son autorité que pour assouvir sa soif de savoir. Amoureux des livres, la culture est sa seule épouse. Parlementaire, historien, philologue, lettré, Peiresc est un inlassable éveilleur de culture, un intrépide passeur de savoir. Pour son rôle majeur dans la République des Lettres du premier XVIIe siècle, il méritait ce nouvel éclairage qui le fait sortir de l’ombre où l’avait enfermé une modernité parfois injuste.
La thèse d’une historienne
Cet ouvrage de Anne-Marie Cheny, publié en 2015, est le fruit d’un travail réalisé pour une thèse. C’est donc très fouillé, très précis et parfois cela peut sembler un peu aride avec cette écriture propre aux travaux scientifiques. Surtout que ce n’est pas de la vulgarisation. L’objectif ici c’est vraiment de chercher à comprendre et à montrer ensuite au lecteur comment travaillait un esprit cultivé pour pouvoir étoffer sa bibliothèque au XVIIe siècle.
C’est un travail de chercheur, certes compliqué à lire pour les non passionnés mais si agréable pourtant. Les propos sont étayés d’extraits de lettres, nous rapprochant de ce personnage atypique. Les éléments iconographiques reproduits ainsi que les nombreuses cartes et schémas permettent aussi de mieux appréhender les réflexions qui sont développées.
Elargir l’horizon de la Provence
On va suivre les acquisitions culturelles de ce noble provençal Nicolas Claude Fabri de Peiresc. Vivant toute sa vie en Provence, donc loin de la cour à Versailles, on pourrait penser qu’il est isolé avec un accès très limité aux ressources culturelles rares et précieuses. Mais il n’en est rien. Le livre va démontrer le très large réseau de correspondants que Peiresc a développé, justement pour nouer des connexions partout où cela pouvait lui être nécessaire. Sans doute, le correspondant le plus célèbre est Guillaume du Vair, garde des sceaux de Louis XIII et savant humaniste lui aussi.
Parmi les annexes, la liste de tous les correspondants de Peiresc pour sa traque de livres et objets précieux donne le vertige. C’est avec cette liste qu’on peut aussi mieux matérialiser l’importance du réseau que cet homme a constitué, par passion, toute sa vie.
Queue de comète de la Renaissance
La redécouverte massive des textes grecs antiques c’est au moment de la Renaissance, un siècle plus tôt. En ça Peiresc est un peu « époque tardive ».
C’est le XVIe siècle qui fait la place à une soif de savoir, une quête scientifique dans ces recherches de manuscrits antiques et d’objets à collectionner. C’est l’otium studiosum des romains. Souvent cette curiosité intellectuelle permet la publication de travaux, mais ce n’est pas vrai pour Peiresc. Lui, c’est avant tout le savant qui se nourrit, s’enrichit de ses recherches.
Mais justement, c’est révéler toute la passion qui l’habitait. La science, les arts, les principes antiques de politiques etc. Construire un réseau aux quatre coins de la Méditerranée et sans logique de rentabilité ! Ça paraît fou pour notre époque obsédée par ce mantra capitaliste.
L’Orient comme objet d’étude
Certes il vit en Provence et voyage très peu. Mais le port de Marseille n’est pas loin, longtemps premier port de la Méditerranée.
S’ouvrir sur l’Orient, c’est un intérêt plus large que juste chez Peiresc. Ce n’est peut-être pas spécifiquement français mais enfin cela reste très visible en France. La fascination pour cet Autre, différent et souvent adversaire qu’est l’Ottoman. Aussi bien les courtisans que les savants se piquent de curiosité pour cette partie du monde. Le XVIIe siècle c’est aussi celui des tragédies de Racine, qui plongent dans l’Antiquité et aussi dans cet Orient avec Bérénice ou Bajazet par exemple. Les mœurs, les coutumes, les arts, la politique… Tout est sujet d’études et de rêveries pour Peiresc. Et c’est vrai encore aujourd’hui, je pense notamment au roman Boussole de Mathias Enard.
Analyser une passion
Cette biographie, c’est aussi entrer dans l’intimité d’un homme d’une autre époque. C’est se promener dans ce qui fut sa demeure. Parcourir les rayonnages accumulant les manuscrits qu’il a réuni tout au long de sa vie… C’est faire revivre ce savant, ses objets d’étude et les faire passer à la postérité en un sens.
Dans cette époque moderne qui manque encore tant d’informations, de précisions sur le monde non immédiatement accessible, cette mission de vie de Peiresc et d’autres hommes comme lui démontre une avidité pour la connaissance. La volonté d’apprendre la vérité derrière les mythes, notamment sur Byzance.
On voyage dans le temps, on rencontre un véritable personnage et on le suit avec admiration dans ses pérégrinations érudites…
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