Résumé
Un bel endroit solitaire que l’ermitage de Zafer, ou une bâtisse monstrueuse ? Un hôtel. Créé, géré par don Gaetano, prêtre érudit, personnage vite inquiétant. Le narrateur arrive là par hasard, s’installe. Peintre renommé, c’est d’un oeil de peintre qu’il scrute la microsociété des notables qui habitent l’ermitage. Politiciens, hommes d’Eglise, financiers, industriels, qui sont-ils ? Les mouches ou les araignées de cette toile qui se tisse, de plus en plus serrée ? Jeu d’alliances faites et défaites. Intrigues sordides. Et bientôt, sous couvert d’ « exercices spirituels », de bien étranges complots se trament. Puis un meurtre est commis. Et un deuxième meurtre, aussi inexplicable, gratuit, que le premier. Survient la police. Un troisième meurtre enfin, celui de don Gaetano.
Un texte indissociable de son contexte
Leonardo Sciascia a écrit ce texte au début des années 1970. Toute son œuvre est à mettre en lien avec le contexte particulier de l’Italie, et surtout les aspects de politique intérieure et leurs conséquences. Il y a un côté militant prégnant dans ses écrits. Et ceci est particulièrement vrai pour Todo Modo.
Le début des années 1970 en Italie c’est le début de la période dite des années de plomb. Après la contestation étudiante en 1968, il y a eu la naissance des brigades rouges marxistes, les groupes paramilitaires fascistes etc. Mais surtout, c’est le début des attentats contre des civils, comme à Milan en 1969, et le début des enlèvements de patrons et de “bourgeois”. Tout ça durera jusqu’au début des années 1980.
Contexte explosif auquel la classe dirigeante aux affaires depuis la fin de la seconde guerre mondiale ne va trouver de réponses satisfaisantes. Un seul parti règne en maître : la Démocratie chrétienne. Le parti communiste, deuxième parti le plus puissant accepte, dans un accord tacite, la place de leader de l’opposition. Et au fil des décennies, les scandales et malversations des hommes de la Démocratie chrétienne vont défrayer la chronique. Jusqu’aux liens avérés entre certains politiciens et le crime organisé.
La satire politique
Et ce sont justement ces hommes de la classe dirigeante qui sont au cœur du roman Todo Modo. Les hauts fonctionnaires, ministres, industriels… Ils sont tous représentés dans ce huis clos feutré. Cette retraite spirituelle cache en réalité des maîtresses, des négociations, des tractations etc.
Et tout cela avec la bénédiction de l’Eglise catholique, incarnée par ce Don Gaetano énigmatique. Comme dans la vie politique réelle, la Démocratie chrétienne, c’était dans le titre, entretient des relations très étroites avec le clergé et principalement les figures incontournables au Vatican.
C’est aussi ce mélange des genres que dénonce Sciascia, fervent laïque tout comme son narrateur qui restera anonyme. Dans le récit, on verra Don Gaetano refuser d’aider la police à résoudre les meurtres qui sont commis dans son hôtel/ermitage, considérant que ce n’est pas du tout son devoir. Une façon d’incarner ces prélats qui ont fermé les yeux sur des crimes à cette époque, tout en couvrant les auteurs de l’aura de l’Eglise. Cette hypocrisie est particulièrement ralliée dans le texte.
Cacher pour mieux révéler
Ce roman n’est pas un polar au sens classique du terme. Car il n’y aura pas une enquête “traditionnelle” et le triomphe de la justice à la fin. Ce n’est pas un pur polar non plus car ce ne sont pas les meurtres qui sont au cœur du récit. Ce sont plutôt toutes ces ficelles invisibles, cette toile d’araignée tissée de fils d’or, entre ces personnages puissants.
L’auteur tient comme fil rouge cette idée que la vérité est juste sous nos yeux mais que pour différentes raisons, souvent, elle nous échappe quand même.
L’une des phrases les plus percutantes résume ce point. Don Gaetano dira au cours d’un dialogue “Les choses qui ne se savent pas n’existent pas”. Ou comment formuler le fonctionnement de clique d’élites corrompues mais liguées ensemble contre le reste de la société.
Todo Modo
Même le titre est en lui-même un mystère, ou du moins prête à confusion. C’est le début d’une citation du fondateur de l’ordre des jésuites Ignace de Loyola. « Todo modo para buscar la voluntad divina », chercher la volonté divine par tous les moyens. Don Gaetano incarne parfaitement ce côté érudit, élitiste qui caractérisait les jésuites. Mais en même temps, par tous les moyens rappelle aussi, la fin justifie les moyens, arriver à quelque chose par tous les moyens. Y compris les moins honorables et les moins légaux…
Un roman qui fait réfléchir
Avec ce texte, Leonardo Sciascia ne donne pas au lecteur une lecture facile. La fin, plus qu’énigmatique, semble épaissir un plus le mystère des pages précédentes. C’est un roman qui demande réflexion, qui poursuit son chemin chez le lecteur même une fois l’ouvrage reposé. La fiction décrite passe au second plan, après les interrogations à formuler sur le fonctionnement de l’époque, dans ce contexte si particulier.
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