Résumé
Elinor et Marianne Dashwood sont deux soeurs aux caractères bien différents. Privées de leur héritage à la mort de leur père, elles doivent quitter le Sussex en compagnie de leur cadette Margaret et de leur mère. Dans le Devon, elles ne tardent pas à s’habituer à leur désormais modeste quotidien au contact de leurs nouveaux voisins. Mais lorsqu’elles tombent amoureuses, Elinor et Marianne se retrouvent tiraillées entre ce que leur impose la raison et ce que leur dicte leur cœur.
Un roman façon XVIIIe siècle ?
C’est la question que je me suis posée en relisant récemment Raison et sentiments. C’est le premier roman publié de Jane Austen, en 1811. Est-on encore dans une esthétique très XVIIIe siècle ? Car dans ce récit, qui est vraiment le personnage principal ? Est-ce Elinor, dont on suit l’histoire par la voix du narrateur ? Ou bien est-ce bien plus prosaïquement l’argent et les questions d’héritage ?
En tout cas, ce n’est pas le récit le plus facile d’accès de l’auteure, ni le plus captivant par la vivacité des personnages. Au contraire, ici les personnages, même les deux héroïnes, s’effacent derrière le contexte des héritages de l’Angleterre de l’époque. Ainsi, les deux premiers chapitres parlent à peine des sœurs Dashwood mais fourmillent de détails sur le fonctionnement des héritages.
De même, tout au long du roman, l’auteure oppose fermement Marianne qui ne maîtrise pas ses émotions, les montre en public etc. Et Elinor parfaitement maîtresse d’elle-même, capable de se forcer à dépasser son chagrin. Et il est clair que pour l’auteure c’est Elinor qui a raison entre les deux. La preuve, malgré son coeur brisé, elle reste en bonne santé quand Marianne ne tombera pas malade une fois, mais deux fois ! C’est en suivant ce fil que je parlerai de conte moralisateur pour ce roman. Le dérèglement des sens est condamné, il faut rester stoïque et mesuré etc. Elinor s’en sera récompensée par le mariage avec Edward Ferrars, et Marianne pourra se marier lorsqu’elle aura pour ainsi dire vaincu, maté ses exaltations passionnées…
C’est l’invention du XIXe siècle que de s’intéresser pour la première fois à l’intimité des gens et donc des personnages de fiction. Et pour moi, dans ce roman on perçoit encore une distance d’avec cette conception, qui sera beaucoup plus mise en œuvre dans les romans suivants.
Le sujet central : l’argent
Jane Austen ne se concentre pas sur les histoires d’amour des sœurs Dashwood. Ce n’est qu’un prétexte pour dénoncer subtilement les réalités de l’époque. Comment, avec les lois en vigueur sur les héritages, des veuves et des orphelines peuvent se retrouver privées de tout. Et devoir parfois leur salut à la seule générosité d’un parent éloigné.
De même, toujours avec un angle un peu moralisateur, un peu éducatif, l’auteure met en garde contre les mariages imprudents. Non pas simplement en épousant un libertin comme Willoughby, qui menace les bonnes mœurs par ses pratiques. Mais en épousant imprudemment un libertin qui, de surcroît, est criblé de dettes… Il y a de nombreux passages décrivant la réalité de ces unions irréfléchies et des vies précaires qui en découlent par manque de moyens.
Que l’argent soit au centre des préoccupations, cela se voit pour tous les personnages. Les Ferrars veulent faire faire un mariage d’argent à Edward. Les Dashwood doivent réduire leur train de vie après la mort du père et mari. Willoughby fait finalement un mariage d’argent pour éponger ses dettes. Lucy Steele cherche à tout prix la sécurité financière dans le mariage, même avec des perspectives de faibles revenus. Il y a même un chapitre où les trois sœurs Dashwood dissertent sur la nécessité de l’argent pour être heureux ! Et le récit du premier amour de Brandon vient encore renforcer cette idée. Cette femme, forcée à se marier et finalement si malheureuse et désespérée, a divorcé. Il faut imaginer tout le choc de ce mot à l’époque… Et le reste de la vie illustre bien ce qu’il faut en penser. Elle a fini seule, mère célibataire, sans un sou, malade, la totale ! C’est autant un plaidoyer pour ne pas forcer les femmes à se marier contre leur gré qu’une image percutante pour prouver la nécessité de l’argent au “bonheur”…
Et l’amour dans tout ça ?
Eh bien après toutes ces considérations très matérielles, il ne reste pas beaucoup de place ! Raison et sentiments c’est surtout, amours contrariées, galères et angoisses 🙂
La preuve que ce n’est pas la focale du roman se matérialise dans la relation entre Elinor et Edward. Ils sont tombés amoureux avant que le récit ne débute, se sont trouvés séparés dès le début, ne se sont quasiment pas croisés durant toutes les péripéties… Il ne faut pas espérer la comédie romantique d’Orgueil et Préjugés 🙂
Et même pour le dénouement, Jane Austen précise elle-même, les détails de l’explication entre les amoureux, la demande en mariage ? “Il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails”, pour l’ambiance romantique, on repassera 😀
Finalement, tout était déjà explicité dans le titre, ce qui doit primer c’est la raison, y compris dans les affaires de cœur !
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