Résumé
« La saison, c’est le temps des émotions ». Nagori, littéralement « reste des vagues » , signifie en japonais la nostalgie de la séparation. Dans ce court texte, Ryoko Sekiguchi évoque l’attachement aux saisons qui imprègne la langue et les haïkus dans la culture japonaise. A travers la nourriture, l’écrivaine nous livre l’arrière-goût, les textures et les émotions d’une saison qui vient de nous quitter.
Ce livre m’a permis de cesser de détester l’automne !
Nagori
Ce cours essai de Ryoko Sekiguchi permet au lecteur de découvrir le concept polysémique de nagori. Ce terme japonais s’emploie donc pour évoquer la nostalgie de quelque chose qui se termine. Une rencontre entre amis, la fin d’un plat que l’on goûte, la fin d’une saison.
Traditionnellement dans la culture japonaise, on porte une attention particulière aux changements saisonniers. L’auteure rappelle que l’une des règles des haïkus (ces poèmes codifiés de trois vers) est de contenir des mots permettant d’identifier aussitôt la saison.
Ici, l’auteure cherche à son lectorat français expliquer les subtilités du concept de nagori en l’appliquant aux produits frais, fruits et légumes en tête. Est-ce parce que d’habitude nous portons, nous, une attention très grande à la nourriture ? 🙂
Pour ces végétaux autant que pour les saisons, les Japonais emploient trois termes distincts. Chacun s’applique à un moment précis. Hashiri désigne les fruits primeur, sakari pour ceux de pleine saison et enfin nagori juste avant que le fruit ne se flétrisse et ne passe.
La saisonnalité, passé et présent
Ryoko Sekiguchi retrace avec raison l’époque pas si lointaine où il n’était pas possible d’échapper à la saison en cours. Avant la mondialisation des échanges, avant les cultures sous serres. Les saisons, adaptées au climat, apportaient leur lot de produits frais et pas un de plus, rien d’exotique. De ce point de vue, notre époque contemporaine offre bien plus de possibilités. Ne serait-ce qu’en repensant que sans pouvoir échapper aux aléas de la saison, cela pouvait signifier une famine.
Ce sont les voyageurs qui ont, les premiers, pu expérimenter le fait de changer de saison, et donc de fruits et légumes à disposition.
Mais pour chaque culture, il y a toujours la volonté de faire durer au-delà de la saison de récolte ou de production. Chacune a développé la salaison, la fermentation, les fruits marinés dans de l’alcool, les confitures. Il s’agissait déjà de faire des provisions pour l’hiver, comme la fourmi de La Fontaine.
Arrêter le temps
Mais au-delà de cela, l’auteure invite le lecteur à y voir aussi une des manifestations de nagori. C’est-à-dire la volonté de prolonger le plaisir d’un aliment, au-delà de sa saison de référence. En le lisant, cela m’ a sauté aux yeux. Je fais toujours quelques confitures l’été et c’est précisément pour retrouver le plaisir du fruit au cœur de l’hiver ! Ouvrir un pot de framboise, d’abricot… Aux premières effluves, je revis à chaque fois un moment d’été.
Aujourd’hui bien sûr, tout est toujours à disposition, quelle que soit la saison. Sans parler de la nourriture industrielle qui ne se réfère pas du tout aux saisons. Mais à quel prix écologique ?
La place de la gastronomie
Le travail des produits frais est bien sûr l’apanage de la gastronomie. L’auteure évoque pour le lecteur une nouvelle génération de chefs au Japon qui sont perpétuellement à la recherche de nouvelles associations pour des produits de saison. Les associer à d’autres produits pour créer la nouveauté, travailler une viande plutôt en charcuterie, etc.
L’exemple d’un agrume, le yuzu, m’a frappée. La pleine saison est à la fin de l’automne. Mais, à présent, dans la gastronomie japonaise on peut le retrouver employé dans l’ordre chronologique : avec sa fleur, le zeste de l’embryon de fruit, le zeste du fruit formé mais encore vert et enfin le zeste du fruit à maturité. J’en ai l’eau à la bouche d’imaginer les différences de goût, d’acidité de ce même ingrédient…
Les saisons comme condensé d’émotions
C’est le postulat de l’auteure. Ressentir le nagori pour une saison qui finit, un fruit qu’on ne mangera à nouveau que l’année suivante, c’est la matérialisation de notre espoir de voir revenir cette saison l’année d’après ! Le temps qu’il fait, les plats que nous mangeons, tout cela agit sur notre motivation et notre moral.
Si l’on attache autant d’importance à sa saison préférée, à manger de saison etc, c’est bien que l’on associe les émotions et les saisons.
Je me suis particulièrement reconnue dans le texte lorsque Ryoko Sekiguchi indique qu’en France, une saison est dotée d’une vie à part entière… L’été ! Avec les grandes vacances des enfants, les souvenirs de grillades, etc… Elle dit sentir ici une vraie préférence pour cette saison et je suis bien d’accord.
Le nagori pour une expérience
La nostalgie des choses qui s’achèvent ne s’applique pas qu’aux saisons. L’auteure a passé un an à la Villa Médicis à Rome. Et c’est en voyant la fin de son séjour approcher qu’elle a ressenti cette nostalgie et qu’elle a eu l’heureuse idée de cet essai. J’ai trouvé d’une grande beauté ce concept de nagori, de nostalgie attendrie. Ce n’est pas du regret, c’est chercher à profiter au maximum de l’instant présent, des instants transitoires et espérer les revivre un an plus tard.
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