Résumé
Kurogiku a quitté le Japon et vit dans une ruine isolée de Toscane où il s’adonne à l’art de l’origami. Un jour, Casparo, un jeune horloger, arrive avec le projet de fabriquer une montre complexe contenant toutes les mesures du temps. Son arrivée va bousculer l’apparente tranquillité de Monsieur Origami.
J’ai découvert ce roman de Jean-Marc Ceci complètement par hasard, en flânant dans les rayons d’une librairie et le résumé m’a aussitôt intriguée.
Un style d’écriture original
Je pense qu’il est avant tout important de s’attarder sur le style de ce roman de Jean Marc Ceci. Car pour moi il fait partie intégrante de la beauté fragile et touchante de l’histoire. En effet, le texte est dépouillé presque à l’extrême. Il n’y a pas de descriptions, les dialogues sont dans leur plus simple expression. La narration a été réduite à l’essentiel.
La mise en page choisie pour ce roman renforce encore cette sensation de dépouillement. Les chapitres sont très brefs, parfois simplement quelques lignes, ce qui donne à la lecture un texte très aéré. Pour autant, il ne faut pas imaginer un rendu aride et sec. Au contraire, ces choix forts et originaux renforcent le message porté et participent de l’expérience de lecture.
De même, certaines phrases ou passages dans le texte reviennent périodiquement ponctuer l’histoire, comme le ferait le refrain d’une chanson. Ce procédé permet de s’ancrer, en tant que lecteur, dans l’aspect rituel et immuable des gestes que répète inlassablement le personnage principal Maître Kurogiku.
Il est important de souligner qu’il s’agit du premier roman de l’auteur, une belle performance stylistique qui se savoure.
Une histoire puissante
L’auteur réussit le tour de force de nous emmener dans son univers et d’en rendre l’atmosphère véritablement palpable, sans presque donner aucune indication au lecteur. Pas de description détaillée des personnages ou des lieux, l’imagination de chacun pour fonctionner à plein régime et c’est très rafraîchissant. Les mots ont un fort pouvoir évocatoire et de simples indications permettent de construire toutes les nuances nécessaires pour voir se jouer les scènes.
Une autre originalité est le contraste apparent entre le sujet du roman, l’art japonais de l’origami, et le lieu où se déroule l’histoire, quelque part au fin fond de l’Italie. Ce ne sont pas deux cultures que l’on verrait spontanément s’imbriquer mais l’auteur y parvient et dépasse les lieux communs que l’on pourrait craindre pour l’une et l’autre, tant elles sont employées en littérature.
Ce roman est une respiration, un moment suspendu. On est immergé dans l’action, dans ce lieu aux allures mythiques. On y regarde l’élaboration ancestrale du papier japonais traditionnel, le washi, un peu comme la chatte du roman, Ima, toujours dans les pattes des personnages. C’est peut-être elle au final le lien imperceptible entre les protagonistes ?
La dernière partie du roman, sans en révéler le contenu pour éviter un major spoiler, est sans doute la plus puissante du récit, construit en crescendo. Au-delà de l’histoire, c’est l’occasion pour le lecteur d’en apprendre plus sur l’histoire du washi et de ses usages multiples dont certains insoupçonnés…
La spiritualité zen
Ce roman donne aussi l’occasion au lecteur de s’interroger, en même temps que les personnages, sur les concepts forgés autour du temps. Derrière des actions simples, des gestes répétitifs, que cherche Maître Kurogiku ? Avec son projet de montre la plus compliquée au monde, qu’essaie de démontrer l’horloger Casparo ? Entre cette idée folle et la jeunesse du personnage, est-ce que l’auteur nous invite à ralentir, comme l’a fait toute sa vie Maître Kurogiko ? A quoi rêvent-ils tous les deux par le biais de leur passion ? Que cherchent-ils à oublier de leur passé ?
Le récit ouvre toutes ses questions au fil de l’eau. On obtient les réponses à certaines, on peut réfléchir après avoir refermé le livre sur celles qui restent… Dans une époque obsédée par le développement personnel, la quête de sens et, en même temps, la productivité et comment toujours rentabiliser le temps, cette fiction propose une lecture apaisée de la vie, si l’on se recentre sur l’essentiel.
Un roman à dévorer
Pour ses qualités d’écriture et de narration, Monsieur Origami est, selon moi, un roman à lire de toute urgence. Une manière agréable de s’offrir un moment à soi. Avec un bon thé vert japonais à la main, pour rester dans le thème !
Les personnages, tout en subtilités, prennent corps lorsqu’on progresse dans la lecture du roman. Le décor aussi se déploie dans l’imagination du lecteur et offre une image de chaos ordonné. Le papier washi, constitue d’ailleurs presque un personnage supplémentaire du récit : l’auteur lui donne une consistance qui dépasse sa simple matérialité, il est chargé d’une histoire propre très ancienne, la vie du roman s’articule autour de lui.
Ce n’est pas un simple moyen, un simple vecteur. Ce récit c’est aussi la mise en lumière de la matière première de tout écrivain : la page blanche…
6 commentaires