Résumé
Une nuit, j’ai reçu un appel de ma mère. Elle me disait au téléphone que l’homme avec qui elle vivait était ivre et qu’il l’insultait. Cela faisait plusieurs années que la même scène se reproduisait : cet homme buvait et une fois sous l’influence de l’alcool il l’attaquait avec des mots d’une violence extrême. Elle qui avait quitté mon père quelques années plus tôt pour échapper à l’enfermement domestique se retrouvait à nouveau piégée. Elle me l’avait caché pour ne pas « m’inquiéter » mais cette nuit-là était celle de trop.
Je lui ai conseillé de partir, sans attendre. Mais comment vivre, et où, sans argent, sans diplômes, sans permis de conduire, parce qu’on a passé sa vie à élever des enfants et à subir la brutalité masculine ?
Ce livre est le récit d’une évasion.
L’art engagé
La plume d’ Edouard Louis est singulière dans le paysage littéraire français. Au gré de ses autofictions, l’auteur nous parle de davantage que sa seule expérience, sa seule famille. Car son écriture est avant tout politique. Il souhaite dépasser le but de divertissement de la fiction pour la ramener dans l’arène politique.
Car bien des choses dans notre société, bien des histoires, des faits divers, peuvent être lus par le prisme de la politique.
C’est un parti pris fort, qui définit le type de récits de l’auteur. Il raccroche la petite et la grande Histoire. Il nous pousse à nous questionner en tant que lecteurs.
L’évasion d’une mère
C’est la conception conservatrice des femmes et de la famille qu’Edouard Louis met en lumière en racontant les déboires de sa mère. Une femme qui a arrêté ses études pour s’occuper de son premier enfant. Puis de toute la fratrie. Une mère dépendante de son mari pour l’unique salaire mais aussi pour les déplacements en voiture.
Cela peut sembler trivial, déjà vu, socialement marqué… Mais cela n’en reste pas moins une soumission pour les femmes qui se trouvent dans cette situation. Et le mot soumission s’applique d’autant mieux lorsque le conjoint, comme ici, insulte et boit.
Être mère au foyer, c’est consacrer sa vie aux autres. L’éducation des enfants, mais aussi à tenir la maison seule, le plus souvent l’homme considérant qu’il travaille à l’extérieur et n’a donc rien à ajouter pour les tâches domestiques.
Le travail invisible
Dans ce texte, l’auteur nous donne à voir les conséquences du travail invisible des femmes au foyer. Des conséquences qui se font ressentir sur le moment mais avec davantage d’amertume encore plus tard, en cas de rupture.
Sur le moment, la conséquence c’est le manque de reconnaissance du travail effectué. Comme cela concerne la maison, l’intérieur, le nid beaucoup, et notamment dans la pensée conservatrice, tendent à considérer que ce n’est pas du travail. Le plus souvent, les femmes au foyer gèrent seules les enfants, le ménage, les courses, les repas, etc. Toutes ces activités sont externalisables et ont un prix sur le marché…
La conséquence à long terme, c’est le dénuement en cas de rupture avec le conjoint qui était l’unique salaire. Si la femme n’a pu faire ou terminer des études, si elle a arrêté de travailler trop longtemps, elle trouvera difficilement un emploi. Encore moins en CDI à temps complet…
Et pour les femmes comme Monique ? Sans le permis de conduire ? C’est mission impossible, dès que l’on sort des centres des métropoles bien desservies en transports en commun.
Bref, ces femmes passent leur vie à travailler dans l’ombre, sans salaire ni reconnaissance la plupart du temps. Sans cotisations du coup… Ni chômage, ni retraite pour le cas de la France. Comment assumer une séparation dans ces conditions ?
Condamnée à subir ?
C’est la beauté de ce récit. Passés les faits implacables et déprimants qui empêchent bien des femmes dans de situations analogues de partir, une lueur d’espoir.
Car c’est finalement grâce au soutien de ses enfants, dont l’auteur, que Monique a pu réussir son évasion. Trouver un endroit où rester après la séparation, avoir de l’aide pour “retomber sur ses pattes”. Sur le plan financier mais surtout sur le plan du soutien moral et de l’aide matérielle.
Donner de la voix
Dans cette autofiction, Edouard Louis interroge notre vision de la femme au foyer. Derrière les images d’Epinal des années 50, brushing et talons, ou les sarcasmes des feignantes qui ne font rien, il nous montre la réalité de beaucoup.
Subir un conjoint alcoolique, qui leur manque de respect. Les petites humiliations au quotidien liées au manque d’argent personnel. Comme ne pas pouvoir se payer un café parce que le conjoint a brusquement décidé de supprimer “l’argent de poche”. Il faut de l’aide pour quitter cette infantilisation infamante.
Le texte n’est pas pour autant misérabiliste, ni hagiographique. Justement, il tire sa force de sa mesure dans l’écriture. Cela ne fait que renforcer la puissance des injustices qui s’étalent au fil des pages. Et ce style épuré fait aussi briller ce personnage principal de Monique. Une femme dite ordinaire, que son fils fait passer à la postérité.