Résumé
Le clerc, qui ne se confond pas avec le prêtre ou le moine, est le descendant d’une lignée originale dans l’Occident urbain du Moyen Âge : celle des intellectuels. Le mot est moderne, il a l’avantage de désigner à la fois le penseur et l’enseignant, et de ne pas être équivoque.
L’enquête de Jacques Le Goff est une introduction à la sociologie historique de l’intellectuel occidental. Mais elle fait aussi la part du singulier et du divers, et devient ainsi une galerie de caractères finement analysés.
La découverte d’une époque
Ce court ouvrage de l’historien Jacques Le Goff, c’est le souvenir matériel de ma prépa. Dès que je vois la couverture, ça me replonge dans toutes ces heures de cours 🙂
Quand on se penche sur l’histoire médiévale, très souvent on a un biais défavorable. Comme le disait mon professeur, on imagine toujours une Antiquité ensoleillée et un Moyen Age pluvieux, sombre, boueux. C’est en fait idéaliser l’Antiquité des philosophes et des fouilles archéologiques et aussi idéaliser le moment de la Renaissance. On ne se rappelle au milieu de ces deux périodes que de la Guerre de 100 ans et de la peste. Mais ces parts de calamités n’ont pas été que l’apanage du Moyen Age. Les guerres, l’esclavage sont la réalité de l’Antiquité. Et au XVIe siècle, à côté de l’essor culturel il y a eu aussi les guerres de Religion. Bref, le Moyen Age, comme ces autres époques, est en réalité bien plus que les clichés qu’on lui associe trop facilement.
La Renaissance du XIIe siècle
Ce livre nous fait découvrir tout ce qui fut novateur et fondateur au XIIe. L’émergence des villes, l’essor des intellectuels de profession, les premiers professeurs, la redécouverte des textes grecs et arabes avec de nouvelles traductions… Un lettré, Bernard de Chartres, disait qu’ils étaient des nains juchés sur les épaules de géants. La citation est célèbre parmi les historiens. C’est la formule parfaite pour illustrer ce travail de redécouvertes de textes scientifiques antiques et les réflexions médiévales pour les porter plus loin. Les historiens parlent de la Renaissance du XIIe siècle pour tout cela. Une période de bouillonnement intellectuel qu’on oublie aujourd’hui.
Une culture de clercs
Se pencher sur ces premiers intellectuels c’est apercevoir une autre facette du Moyen Age, tout aussi importante que l’histoire politique. C’est le façonnement des mentalités en Occident pour plusieurs siècles à venir. Et je parle de l’Occident chrétien et pas seulement de la France. A cette époque, les intellectuels sont le plus souvent des clercs, donc des religieux et ils voyagent beaucoup. De l’Angleterre à Paris, à l’Espagne ou la Sicile etc. Il faut repenser à la puissance immense de certains ordres religieux médiévaux, que ce soit l’ordre clunisien ou cistercien, avec des centaines de monastères affiliés à travers l’Europe. Les moines qui se déplacent participent activement à la diffusion des savoirs. Des romans comme Le Nom de la rose de Umebrto Eco ou L’Oeuvre au noir de Marguerite Yourcenar illustrent bien cette facette du Moyen Age.
Les cours de l’époque
Jacques Le Goff détaille aussi les cours, les exercices, le déroulement des examens, la vie étudiante de l’époque… C’est une plongée certes dense mais passionnante dans les universités médiévales. On voit cette curiosité intellectuelle qui se développe, et comment le tout se structure peu à peu.
A travers aussi les luttes intestines que l’auteur retrace, on se rend compte du bouleversement qu’a constitué cette Renaissance du XIIe siècle avec la redécouverte des auteurs arabes et grecs, donc non chrétiens. Les Occidentaux changent de logiciel de pensée, et cela ne se fait pas sans frictions et ni réfractaires.
L’intellectuel à la fin du Moyen Age
Les XIVe et XVe siècles voient les épidémies, les guerres et les crises économiques. Et ces siècles voient aussi la mutation de l’intellectuel vers la figure de l’humaniste. Comme toujours, après l’apogée vient le lent déclin et la mutation vers une chose différente. Au XIVe siècle les universités sont établies et reconnues. Les enseignants qui tiraient le diable par la queue et donnaient des leçons à de nombreux étudiants pauvres ont laissé la place à des professeurs bourgeois. Les professeurs sont à présent reconnus, riches ou du moins à l’aise matériellement. Dans le même temps, les universités se ferment aux étudiants pauvres,
Au XVe siècle, c’est la lente transformation vers l’humaniste de l’époque moderne. L’auteur montre bien en quoi l’humaniste s’est construit à rebours de ce qui définissait l’intellectuel du Haut Moyen Age. D’un travailleur indépendant, pauvre, urbain, valorisant le fond plus que la forme, on aboutit à une nouvelle figure. L’humaniste est protégé par un riche mécène, il est proche des princes. Egalement, il renie le travail manuel et préfère la forme au fond et travailler retiré à la campagne. La nouveauté est finalement cyclique au fil du temps…
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