Résumé
Pour Ludo le narrateur, l’unique amour de sa vie commence à l’âge de dix ans, en 1930, lorsqu’il aperçoit dans la forêt de sa Normandie natale la petite Lila Bronicka, aristocrate polonaise passant ses vacances avec ses parents. Depuis la mort des siens, le jeune garçon a pour tuteur son oncle Ambroise Fleury dit « le facteur timbré » parce qu’il fabrique de merveilleux cerfs-volants connus dans le monde entier. Doué de l’exceptionnelle mémoire « historique » de tous les siens, fidèle aux valeurs de « l’enseignement public obligatoire », le petit Normand n’oubliera jamais Lila.
Il essaie de s’en rendre digne, étudie, souffre de jalousie à cause du bel Allemand Hans von Schwede, devient le secrétaire du comte Bronicki avant le départ de la famille en Pologne, où il les rejoint au mois de juin 1939, juste avant l’explosion de la Seconde Guerre mondiale qui l’oblige à rentrer en France. Alors la séparation commence pour les très jeunes amants… Pour traverser les épreuves, défendre son pays et les valeurs humaines, pour retrouver son amour, Ludo sera toujours soutenu par l’image des grands cerfs-volants, leur symbole d’audace, de poésie et de liberté inscrit dans le ciel.
Un roman européen
Comme dans d’autres de ses romans, Romain Gary nous plonge au cœur de la période terrible des années trente et de la Seconde Guerre mondiale. Parce que c’est une période qui l’a évidemment façonné, une guerre dans laquelle il a combattu pour la liberté contre le fascime. Il transpose en littérature les drames horribles de l’époque. Au cœur de l’Europe déchirée par la guerre et les totalitarismes, il faut le courage d’aller chercher la trame narrative d’un grand récit. Là où La vie devant soi interroge les traumatismes qui resteront aux survivants après la boucherie de la guerre, Les cerfs-volants nous plonge directement dans les années de guerre.
L’amour, toujours
Et quelle émotion grandit les êtres humains quand tout le reste est en train de s’effondrer ? C’est l’amour bien sûr. Un postulat qui peut sembler plat et banal. C’est mal connaître la force de la plume de Romain Gary. La puissance communicative aussi de sa capacité à toujours espérer, à travailler pour pousser vers la lumière le moindre grain de beauté du monde.
Dans Les cerfs-volants, on suit cet amour pur entre Ludo et Lila. Leurs prénoms se répondent et s’entremêlent, prouvant déjà par la phonétique la force de ce qui les unit. Ces deux enfants qui viennent incarner l’amour pur, désintéressé. Un amour qu’il faudra tout faire pour lui permettre de survivre au passage à l’âge adulte en temps de guerre…
Derrière les épreuves des combats et de l’Occupation, il y aura cette épreuve intime pour ce personnage principal qui ne perdra pas de vue ce qui est essentiel pour lui.
La métaphore géopolitique
J’aime aussi à penser que derrière ce Français et cette Polonaise amoureux, on peut y retrouver une référence à la situation géopolitique. Car de longue date, les deux pays étaient alliés en Europe. Une façon pour la France de prendre en tenaille la Prusse, une manière pour la Pologne de s’assurer d’un allié de poids pour tenir à distance la Russie.
Et cette alliance ancienne a volé en éclat lorsque la France et le reste de l’Europe ont laissé la Pologne affronté seule l’invasion nazie. Une trahison politique qui semble vouloir être conjurée dans ce roman. Lila et Ludo continueront de s’aimer, de se chercher, de tout faire pour rester ensemble ensuite. Une mise en valeur de la constance, peut-être applicable en politique ?
Un roman d’aventure
Malgré un sujet difficile, Romain Gary sait toujours conserver d’une part une poésie certaine, d’autre part, un sens du rythme dans la narration. Et c’est encore le cas dans ce roman, qui peut se lire comme un roman d’aventures. On suit Ludo, son développement, ses étapes de vie, ses épreuves. Dans la tradition des romans d’apprentissage, de passage de l’enfance à l’âge adulte.
Un roman à relire ?
Pour moi, il est toujours très compliqué de relire un roman de Romain Gary. J’adore son oeuvre, j’ai déjà lu de nombreux ouvrages mais je n’ai jusqu’à présent pas pu me résoudre à en relire un seul.
J’aime découvrir son propos, souvent sur des sujets difficiles, avec Les racines du ciel ou Chien blanc par exemple. Ce sont des textes qui donnent matière à réflexion. Et malgré leur beauté littéraire, la poésie de l’auteur, c’est souvent trop noir pour que j’ai la force de m’y replonger. Je referme les livres avec un certain soulagement et l’optimisme de Gary n’empêche mon pessimisme de pointer le bout de son nez.
Mais j’ai eu un sentiment différent en achevant Les cerfs-volants. Plus de lumière, plus d’élan de vie, le renouveau d’un souffle.
C’est assurément un grand roman de la littérature française et celui-ci je pourrai le relire le cœur léger.