Résumé
Le hussard sur le toit : avec son allure de comptine, ce titre intrigue. Pourquoi sur le toit ? Qu’a-t-il fallu pour l’amener là ? Rien moins qu’une épidémie de choléra, qui ravage la Provence vers 1830, et les menées révolutionnaires des carbonari piémontais. Le Hussard est d’abord un roman d’aventures ; Angelo Pardi, jeune colonel de hussards exilé en France, est chargé d’une mission mystérieuse. Il veut retrouver Giuseppe, carbonaro comme lui, qui vit à Manosque. Mais le choléra sévit : les routes sont barrées, les villes barricadées, on met les voyageurs en quarantaine, on soupçonne Angelo d’avoir empoisonné les fontaines ! Seul refuge découvert par hasard, les toits de Manosque ! Entre ciel et terre, il observe les agitations funèbres des humains, contemple la splendeur des paysages et devient ami avec un chat. Une nuit, au cours d’une expédition, il rencontre une étonnante et merveilleuse jeune femme. Tous deux feront route ensemble, connaîtront l’amour et le renoncement.
Du choléra au covid
J’ai découvert ce classique de la littérature très récemment. Je l’ai acheté en 2022 juste après les deux années de pandémie. Et cette actualité a donné relief particulier à ce roman pour moi. A l’ère de la désinformation, du complotisme etc, Giono offre un contrepoint saisissant.
On a une illustration brute, qui n’épargne rien au lecteur, d’une épidémie mortelle incontrôlée. Les bourgades décimées, les corbeaux qui s’attaquent aux cadavres… Les brasiers immenses aux abords des villes, les mouvements de foule dus à la panique… Et même, un épisode de lynchage sur fond de rumeur infondée : Angelo, le personnage principal, est poursuivi. Les habitants l’accusent d’empoisonner les fontaines.
L’auteur nous livre une version réaliste, mais grandiose et poétique de ces moments d’apocalypse que nos sociétés avaient oubliés depuis bien longtemps.
Giono, écrivain régionaliste
C’est le marqueur majeur de l’œuvre de Jean Giono, tous ses récits prennent place dans le sud de la France, en Provence, rarement au-delà. De même, dans son style d’écriture la nature prend une place déterminante. C’est presque un personnage à part entière. Le hussard sur le toit ne fait pas exception.
Il s’agit donc de l’épidémie de choléra qui a touché la Provence au début du XIXe siècle. Le récit est construit comme une épopée dans une géographie pourtant très circonscrite. Les combats n’opposent pas les Hommes à des monstres fantastiques mais à ce mal invisible, imprévisible qui décime la population.
La nature méditerranéenne est le plus souvent enchanteresse en littérature que ce soit chez Pagnol ou chez Tommasi di Lampedusa. Mais ici, elle se referme ici sur les personnages comme un piège infernal. Le soleil est toujours implacable, la moiteur de l’air insupportable. L’air est tour à tour irrespirable, épais, visqueux… Des qualificatifs angoissants qui ramènent le lecteur à la présence impalpable mais inévitable du choléra.
Une histoire d’amour qui ne dit pas son nom
La dynamique mise en œuvre entre Angelo et Pauline est particulièrement intéressante. Après avoir évité de peu le lynchage, Angelo va trouver refuge dans la maison de Pauline, elle l’accueille sans poser beaucoup de questions et surtout sans paniquer à l’idée qu’il puisse être porteur du choléra.
Cette aide précieuse, Angelo veut la repayer aussitôt en aidant Pauline a fuir la zone touchée par la maladie, afin qu’elle puisse retrouver son mari et se mettre en sécurité. Commence alors le récit d’aventures. Le lecteur va suivre toutes les péripéties qui attendent ces deux personnages pour quitter la région mise en quarantaine.
Leur relation possède sa poésie particulière, tout en subtilités et non dits. Elle est mariée, donc inaccessible car il est un homme d’honneur. Ce sont un peu les codes de l’amour courtois. Un preux chevalier qui se dévoue pour sa belle dame, dans l’expression d’un amour qui restera purement platonique.
Plutôt mourir
Cette admiration, le lecteur la ressent mais qui elle ne franchit jamais la “ligne rouge” de la bonne conduite. Sauf au moment où Pauline est atteinte par les premiers symptômes de la maladie. Pauline est résignée à mourir et enjoint à Angelo de s’écarter et de partir. Ils sont perdus en pleine nature. Mais l’officier ne l’abandonne pas. Au contraire, une fois de plus il fait preuve de dévouement et d’abnégation. Ce moment où il doit lui frictionner les jambes à l’alcool fort, seule tentative qui peut la sauver constitue le paroxysme de leur voyage. Et aussi le paroxysme de leur relation.
Le contact des corps, le fait qu’il soit obligé de lui relever la robe jusqu’aux cuisses… Ce que Pauline tente de l’empêcher de faire, disant qu’elle préfère mourir. Mourir plutôt que sa pudeur et son honneur de femme mariée puissent être remis en question.
L’héroïsme ordinaire
Cette scène est aussi l’incarnation du héros prêt à se sacrifier. Prêt à se sacrifier pour quoi ? Il n’y aurait pas de gloire posthume pour Angelo, dans le chaos de cette épidémie il n’y a pas de place pour se souvenir des plus courageux. Alors pourquoi cette rage de vaincre la maladie au moins chez une personne ? On peut en conclure que c’est l’amour qui le motive et justifie qu’il réussisse à la sauver. Mais on peut aussi se demander si pour l’auteur, l’héroïsme n’est pas cette facette de l’être humain qui ne doit jamais renoncer ?
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