En Occident, le harem est représenté comme un lieu de plaisir où s’ébattent des femmes nues et lascives, odalisques d’Ingres et de Matisse, Schéhérazade en version hollywoodienne.
En Orient, le harem est au contraire le lieu de la réclusion des femmes qui ne rêvent que de s’en émanciper, en jouant de leur talent et de leur intelligence, qu’elles aient vécu au temps du khalife Haroun Al-Rachid ou dans le harem domestique des années 50 à Fès. Ces deux représentations du harem – l’une fantasmée, l’autre historique – dessinent une vision différente, troublante et inattendue, non seulement de « la femme idéale » mais aussi de la séduction, de l’érotisme et des rapports entre les sexes.
Un essai fulgurant
Le Harem et l’Occident de Fatema Mernissi a été publié en français en 2000. Force est de constater que 23 ans plus tard, il n’a pas pris une ride !
Cette sociologue renommée livre au lecteur une analyse au sujet, à première vue, incongru mais qui va ouvrir tant de portes à la réflexion ! Délaissant une forme purement académique, l’auteure nous entraîne dans ses questionnements, de leur apparition à leur résolution. L’avancée de sa pensée se fait au cours de pérégrinations, physiques, littéraires et iconographiques.
Le texte est plutôt court. Mais cela n’enlève rien à la profondeur du sujet ni à la qualité des analyses produites. Il est plus facile de suivre Mernissi dans ce récit écrit à la première personne du singulier et aux accents parfois personnels.
Une parole féministe lumineuse
Pourquoi donc le harem fascine-t-il autant en Occident ? Ce lieu d’enfermement des femmes, des femmes réduites en esclavage lors de campagnes militaires pour la plupart, comment donc l’Occident cartésien des Lumières succombe-t-il à ce qui n’est qu’une vision déformée ? D’une prison sans intimité, avec jalousies, rivalités parfois jusqu’à la mort, les Occidentaux en ont fait, notamment par le truchement de la peinture, un lieu sensuel, délicieux et reposant.
L’auteure indique très vite qu’il faut ne rien connaître de la réalité des harems pour en arriver à une image pareille. De même, elle s’aperçoit très tôt qu’il faut aussi juger assez mal les femmes… Pour les imaginer lascives et dociles après être devenues esclaves et enfermées, il faut imaginer des femmes sans cerveau…
Les différences Orient / Occident
Sur ce point, l’auteure relève les conceptions aux antipodes entre une culture occidentale qui fantasme le harem et les cultures dites orientales qui l’ont pratiqué. Les écrivains, penseurs du Moyen Age en Orient savent très bien que le harem ce n’est pas “luxe calme et volupté”. C’est plutôt des femmes récalcitrantes, refusant leur sort, les rivalités des ambitions pour réussir à attirer l’attention du maître etc.
Les hommes dans ce contexte semblent percevoir les femmes comme incontrôlables et à contrôler, contre leur gré. L’enfermement est le meilleur moyen semble-t-il.
En Occident, il n’y a pas eu d’équivalent. Les gens ont découvert cette particularité via les récits de voyageurs, de diplomates. Et le rêve a pris le dessus sur la réalité. Et ce rêve, qui imagine des femmes consentantes et sensuelles en révèle beaucoup sur les hommes occidentaux.
Belle ou intelligente ?
Car derrière ce fantasme, magnifiquement montré par les nombreux tableaux d’odalisques d’Ingres, on voit des hommes qui veulent des femmes belles, offertes et silencieuses/pas intelligentes.
C’est encore une grande différence de conception des rapports entre les sexes. Les légendes ou l’iconographie orientales mettent presque toujours en scène des personnages féminins forts, aventureux, capables de s’exprimer.
Schéhérazade est évidemment un exemple célèbre que l’auteure décortique de manière très intéressante. Cette princesse des Mille et une nuits décrite dans le conte comme très éduquée, très éloquente, qui sauve sa vie justement grâce à ses capacités d’élocution et sa finesse d’esprit a été évidée en arrivant en Occident. La première traduction date du XVIIIe siècle à Paris, le succès à la cour de Louis XV a été fulgurant. Mais ce n’est pas une femme forte et intelligente qui est passée à la postérité… Le public a retenu les anecdotes lascives, les vêtements richement ornés… L’intelligence est passée à la trappe.
L’analyse que Fatema Mernissi fait des œuvres d’Ingres est aussi très intéressante. Il y a déjà une part plus légère où elle imagine la réaction des deux épouses successives du peintres devant ses nus incroyables. Mais derrière ces questions d’émotions et de ressenti, l’auteure met surtout en lumière une contradiction. Comment ce peintre, enfant de la Révolution française, à la carrière brillante, dans une époque de progrès, a-t-il pu choisir de peindre des nus enfermés dans un harem ?
L’art en retard sur l’époque
C’est aussi un grand axe de cet essai. Montrer au lecteur comment l’iconographie occidentale a en fait toujours été à rebours, ou du moins en retard, sur la réalité dans les contrées dites orientales. Dans les années 20, quand Matisse produit plusieurs odalisques, toujours allongées, passives, en Turquie c’est le début de la République. Le harem est interdit, les femmes acquièrent des droits, pour l’éducation, le travail etc.
Pourquoi donc rester sur un motif pictural dépassé et fantasmé ?
Serait-ce parce qu’en Occident, l’image fige plus qu’un cliché ? Serait-ce par ce biais qu’on contrôle les femmes ? Le dernier chapitre de cet essai met le doigt sur l’hypocrisie occidentale.
En Orient longtemps les femmes ont été recluses dans des harems. Archaïsme ? Depuis longtemps maintenant, les femmes occidentales sont enfermées dans des schémas de pensée nocifs, qui découlent directement de l’iconographie. A commencer par la taille 38.
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