Résumé
Dévoiler, à partir de six tableaux de Vermeer et d’une faïence, le monde en mutation du XVIIe siècle, tel est le pari de ce livre magnifique. Une simple jatte de fruits dans La Liseuse à la fenêtre nous entraîne sur les routes du commerce maritime de la fameuse porcelaine bleu et blanc de Chine, tandis qu’un somptueux chapeau de feutre dans L’Officier et la jeune fille riant nous mène au Canada jusqu’aux fourrures de castor que Samuel Champlain soutire à ses alliés hurons. Au total, sept voyages fascinants pour nous révéler l’ampleur des échanges culturels et commerciaux entre Est et Ouest à l’origine de notre mondialisation.
Un livre de vulgarisation
Timothy Brook a permis avec ce livre de vulgariser pour un large public les ressorts de la proto-mondialisation qui a eu lieu à l’époque moderne, et au XVIIe siècle en particulier. L’utilisation des toiles de Vermeer comme truchement pour intéresser le lecteur à cette histoire de l’intensification des échanges est un moyen habile.
Les toiles et les objets que l’auteur utilise pour structurer ses chapitres sont présentés au milieu du livre, ce qui est évidemment indispensable pour voir tout de suite à quoi fait référence Timothy Brook dans l’œuvre en question.
Cet ouvrage se lit facilement, on tire le fil de la pelote en avançant et on suit avec curiosité les extraits de récits de l’époque. Des cartes aussi sont insérées dans certains chapitres, cela permet de mieux visualiser certaines routes commerciales dont il est question.
Faire le tour du monde
A partir d’un chapeau dans une des toiles de Vermeer, le lecteur va découvrir le commerce des fourrures au Canada. Et tout l’intérêt de ce texte vient aussi du fait que l’auteur fait dialoguer la grande et la petite histoire. Il expose les grands principes de ce commerce avant de rapporter des épisodes vécus et racontés au XVIIe siècle.
On suit l’explorateur Samuel Champlain qui découvre le Canada et les Amérindiens qui habitent la région du grand lac. Le lecteur est immergé dans l’atmosphère de l’époque. On a presque la sensation d’un récit de fiction mais tout cela a bien eu lieu et c’est l’occasion d’apprendre des choses ici et là. Le lecteur suivra aussi les routes du tabac, de l’argent…
L’auteur explique l’obsession des Européens, depuis Marco Polo, pour trouver un “raccourci” en Amérique du Nord afin d’accéder à la Chine. Ils espéraient trouver cette nouvelle voie qui permettrait des échanges plus fluides avec l’Empire du Milieu.
C’est ironique de voir que cette ambition, finalement géographiquement impossible, a conduit à tant de « découvertes » depuis Christophe Colomb (qui était censé partir pour l’Asie…) et a permis de développer le commerce entre tous les différents points de la planète.
La porcelaine chinoise
L’un des chapitres sans doute les plus parlants encore pour notre époque est celui concernant les porcelaines chinoises. Les fameuses porcelaines blanches aux dessins tracés en bleu. Cette vaisselle a commencé à arriver en Europe sur les navires marchands portugais dès le XVe siècle. Mais c’était encore rare. Le commerce de la vaisselle chinoise a littéralement explosé au XVIIe siècle, surtout via la flotte de navires marchands hollandais.
Les Européens ne possédaient pas le savoir-faire technique pour créer la porcelaine. D’où un engouement grandissant pour ce type de céramiques. Et le style qui s’est imposé est donc ce bleu sur fond blanc. C’est devenu un marqueur de la typicité de la vaisselle chinoise en Occident.
L’auteur nous révèle cependant que ce bleu n’a rien d’originel dans les créations chinoises. C’est apparu comme une réponse aux demandes des acheteurs persans, qui employaient déjà beaucoup le cobalt pour leurs faïences. Le typique est en fait le produit d’un métissage 🙂 C’est le genre d’anecdotes que j’adore, les traces de cultures mélangées sont partout !
Les tâtonnements de la cartographie
Ce livre permet aussi de se replonger dans cette époque de découvertes en cours. L’exemple le plus frappant est celui de la cartographie. Tous les voyageurs, les explorateurs, essayaient de cartographier les endroits par lesquels ils passaient. Les connaissances étaient encore très incomplètes au XVIIe siècle et pourtant toujours cruciales pour les navigateurs. On pouvait, avec une tempête, se retrouver complètement perdu, faire naufrage au loin de côtes inconnues… Des sensations bien étranges et que l’auteur arrive à faire sentir au lecteur, grâce aux récits qu’il relate.
Lors d’un voyage en Sicile, j’ai ramené un livre regroupant toutes les cartes de l’île, produites du XVIe au XIXe siècles. Ces difficultés pour cartographier m’ont sauté aux yeux ! Pour cette île, qui n’est pas immense, proche de côtes très fréquentées, avec des échanges nombreux entre les différents territoires qui l’entourent, les variations de sa cartographie sont stupéfiantes. On part quand même d’un triangle ramassé sur lui-même avec seulement Messine de bien placée en 1520 !
Avec cet exemple en tête, je ne peux qu’imaginer la difficulté de cartographier des zones inconnues pour les Européens comme en Asie du Sud Est ou le long des côtes chinoises.
Un livre passeur de savoir
Le Chapeau de Vermeer de Timothy Brook est un livre qui fait voyager et qui instruit, la combinaison parfaite selon moi 🙂 Le dialogue entre la grande Histoire et les récits qu’en donnent les voyageurs est intéressant pour rendre plus tangibles les enjeux de cette période d’effervescence au XVIIe siècle. Vermeer n’est finalement qu’un prétexte pour développer cette analyse, mais quel prétexte…
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