Résumé
Me Susane, quarante-deux ans, avocate récemment installée à Bordeaux, reçoit la visite de Gilles Principaux. Elle croit reconnaître en cet homme celui qu’elle a rencontré quand elle avait dix ans, et lui quatorze – mais elle a tout oublié de ce qui s’est réellement passé ce jour-là dans la chambre du jeune garçon. Seule demeure l’évidence éblouissante d’une passion.
Or Gilles Principaux vient voir Me Susane pour qu’elle prenne la défense de sa femme, Marlyne, qui a commis un crime atroce… Qui est, en vérité, Gilles Principaux ?
Un bijou ciselé
L’auteure m’a éblouit par son style avec son dernier roman La Cheffe, depuis j’ai repris ce qu’elle avait publié avant et, bien sûr, j’ai acheté son nouveau livre sans attendre et sans m’arrêter à la quatrième de couverture.
En effet, d’habitude j’épluche toujours le résumé, je lis l’incipit (les premières lignes du texte), voire même encore j’ouvre une page au hasard plus loin dans l’histoire pour être sûre d’avoir une image globale du roman. Rien de tout cela avec Marie Ndiaye, sauf sûrement au moment d’acheter La Cheffe. Depuis, j’achète en voyant son nom.
A rebours des tendances actuelles, l’auteure déploie son récit sans s’embarrasser de nombreux chapitres et des cassures qu’ils représentent toujours dans une narration. Si, pour le lecteur, cela demande un petit effort supplémentaire pour ne pas se perdre dans l’histoire d’une session de lecture à l’autre, en terme de puissance narrative le texte en sort grandi.
Les marqueurs de l’écriture de l’auteur sont à nouveau présents dans La Vengeance m’appartient. La spatialité est fixée à Bordeaux comme souvent. Cette écriture riche, ciselée mais qui n’en devient pas lourde. Au contraire, on s’envole avec elle. On regarde comme des volutes de fumée s’élever au fil du texte. C’est cette expérience qui me fascine le plus avec les romans de l’auteure. Finalement pour moi, l’intrigue est secondaire.
Une intrigue sombre
L’auteure nous embarque dans son univers subtil et rempli d’ombres inquiétantes. Ici, il est donc question pour le personnage principal, Me Susane, de défendre une femme ayant commis un crime, l’un de ceux quasiment élevés au rang de tabou dans la plupart des société humaines, et de tout temps.
Mais le cœur du roman est ailleurs. Il réside dans les émotions et les souvenirs flous qui remontent à la surface pour l’avocate en voyant le mari de la femme accusée. Qui a-t-il donc derrière cette rencontre fortuite ? Me Susane pourra-t-elle se souvenir précisément de ce que lui rappelle cet homme ? M. Principaux était-il vraiment le garçon auquel elle pense ? Les souvenirs qui semblent positifs le sont-ils en réalité ? Dès le début du récit, toutes ses questions sont suggérées au lecteur. On se méfie, sans trop savoir de quoi… Une fillette et un adolescent faut-il y voir un abus sexuel ? Ou complètement autre chose ?
L’atmosphère inquiétante, envoûtante par certains côtés, s’installe. Ce serait presque comme une toile d’araignée qui se tisse autour du personnage principal, occupé à se débattre mais sans savoir précisément contre quoi.
Un récit aux multiples questions
Pour la sous-intrigue judiciaire aussi ce mécanisme s’applique. Le lecteur entame l’histoire en sachant de quoi il en retourne. On se fait une opinion rapide. Mais, par la suite, avec les entretiens entre l’avocate et sa cliente les certitudes vacillent. Le crime reste abominable mais les responsabilités sont-elles si limpides ?
Là encore, l’auteure force le lecteur à s’interroger, à réévaluer ce qu’il a lu précédemment et croit tenir pour certain. La construction de ce roman est fine et fait réfléchir le lecteur. Il ne reste pas en retrait, passif devant une histoire qui se déroule. En fonction de la sensibilité de chacun, de l’échelle des valeurs aussi le roman fait réagir. La compréhension d’un crime dans son contexte peut-elle influencer la justice ? Les catégories du Bien et du Mal sont-elles imperméables ?
C’est la beauté de ce roman difficile, tant par le thème que par l’écriture. Le lecteur ne reste pas neutre. Même face au récit de la vie personnelle de Me Susane il en est ainsi. La narration se concentre sur son point de vue, ses pensées et émotions. Est-elle toujours rationnelle ? Ce qu’elle croit voir se jouer avec les personnes autour d’elle, est-ce la réalité ? Le doute s’installe. Faut-il croire et soutenir le personnage principal inconditionnellement ? Faut-il prendre du recul et tenter d’y voir plus clair ? A la fin de la lecture, même le titre interroge encore !
C’est un roman à lire, lorsqu’on se sent suffisamment de bonne humeur ! L’histoire est inquiétante et il n’est pas sûr qu’il y ait le rayon de soleil final pour tout arranger… Mais je dirai que c’est l’auteure qui est à découvrir et son écriture à savourer. Dans l’océan des écrivains contemporains, elle se démarque de loin.
C’est grâce à son style inimitable, mais aussi dans la construction de ses héroïnes, ce sont souvent des femmes au fil des romans. Elles sont humaines, j’entends par là soumise au destin, aux actions des autres. Elles n’ont pas de toute puissance, leur faiblesse intrinsèque, leurs défauts apparaissent au grand jour. Comme ici, avec Me Susane qui se cogne, qui tombe, qui boite… Maire Ndiaye nous donne à voir une humanité sans super-héros mais avec une élégance folle.
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