Résumé
Dans cet ouvrage, désormais un classique outre-Atlantique (1988, rééd. 2002), les auteurs présentent leur « modèle de propagande », véritable outil d’analyse et de compréhension de la manière dont fonctionnent les médias dominants.
Ils font la lumière sur la tendance lourde à ne travailler que dans le cadre de limites définies et à relayer, pour l’essentiel, les informations fournies par les élites économiques et politiques, les amenant ainsi à participer plus ou moins consciemment à la mise en place d’une propagande idéologique destinée à servir les intérêts des mêmes élites.
En disséquant les traitements médiatiques réservés à divers événements ou phénomènes historiques et politiques (communisme et anticommunisme, conflits et révolutions en Amérique Latine, guerres du Vietnam et du Cambodge, entre autres), ils mettent à jour des facteurs structurels qu’ils considèrent comme seuls susceptibles de rendre compte des comportements systématiques des principaux médias et des modes de traitement qu’ils réservent à l’information.
Ces facteurs structurels dessinent une grille qui révèle presque à coup sûr comment l’inscription des entreprises médiatiques dans le cadre de l’économie de marché en fait la propriété d’individus ou d’entreprises dont l’intérêt est exclusivement de faire du profit ; et comment elles dépendent, d’un point de vue financier, de leurs clients annonceurs publicitaires et, du point de vue des sources d’information, des administrations publiques et des grands groupes industriels.
A l’avant-garde
Avec cet essai, les deux auteurs ont produit une réflexion importante pour mieux définir, ou redéfinir, la place des média dans les démocraties. Herman est économiste et Chomsky est linguiste. Deux spécialités qui peuvent sembler difficiles à rassembler autour d’un même sujet.
Et pourtant pas tant que ça, ce livre parut en 1988 pour la première fois est là pour en témoigner.
Cet essai ne date donc pas d’hier, c’est évident. Première parution à la fin des années quatre-vingt, puis une réédition en français en 2008 qui intègre une mise à jour des auteurs ajoutée en 2002. C’est cette version que j’ai dans ma bibliothèque. Pour moi, il est clair que cette réflexion est toujours vraie, toujours d’actualité, même si les exemples évidemment sont, eux, datés.
La critique des Etats-Unis
Il est important de préciser que dans cet ouvrage, les deux auteurs s’occupent de disséquer la presse et le système médiatique américains. Il en tirent ensuite un modèle de la propagande en démocratie applicable ailleurs, mais le cœur du sujet reste pour eux national.
C’est ainsi que l’on plonge dans ce qui faisait l’actualité outre-Atlantique jusqu’à la fin des années quatre-vingt. L’accord de libre-échange ALENA, la peur panique des communistes et de l’URSS, les relations avec les Etats d’Amérique centrale, Nicaragua, Salvador et Guatemala, et bien sûr, la guerre au Vietnam.
Il y a donc certains aspects de ce livre qu’on ne peut pas détacher du contexte de la politique étrangère américaine de l’époque. Mais pour l’essentiel, il n’est pas compliqué de lire et de substituer un exemple passé par un exemple beaucoup plus actuel. Et c’est tout l’intérêt. De voir comment depuis la fin de la décennie quatre-vingt, pas grand chose n’a changé.
Le problème de la concentration et de la financiarisation des media
C’est le chapitre d’ouverture de cet essai. Et c’est sans doute plus important pour comprendre le fonctionnement des media dans notre modernité. Y compris en Europe, et en France. Car en France, ce phénomène de concentration maximale est plus récent qu’aux Etats-Unis.
Et il n’est pas sûr que les acteurs politiques en voient clairement les méfaits. Contrairement à un pays comme l’Allemagne qui, dans sa Constitution, a interdit la détention d’organes de presse par des puissances d’argent. C’est là une des leçons tirées du troisième reich…
Il est évident qu’une organisation, chargée de diffuser de l’information, voit sa déontologie rabotée lorsque des logiques d’entreprise sont à l’œuvre.
Les auteurs analysent en cela très bien les conséquences de la venue d’actionnaires dans ce milieu et d’une logique de rentabilité. On compresse les coûts de production et on va aller chercher ce qui aura le plus de chances de plaire au public, aux lecteurs, aux téléspectateurs.
C’est à rebours de l’objectif premier de la presse. A moins que le ver ne soit dans le fruit depuis le début ? Car les deux universitaires se penchent aussi sur la censure indirecte et l’autocensure qui découlent des contrats publicitaires signés avec un organe médiatique.
Il devient alors important, financièrement, de ne pas se mettre les annonceurs à dos. Cela donne lieu à une information lissée, parfois tronquée si les média choisissent de ne pas traiter certains sujets qui touchent directement un annonceur important.
Tout est politique
Cet ouvrage ne cache pas les tendances politiques de leurs auteurs. C’est à prendre en compte car il faut savoir en prendre et en laisser. Mais, pour autant, cela n’invalide pas leur modèle, ni même l’emploi du terme de propagande pour la presse en démocratie.
C’est aussi un certain courage de regarder les travers d’une profession en face.