Résumé
Tessa Quayle, jeune et belle avocate anglaise, a été sauvagement assassinée dans le nord du Kenya. Un électrochoc pour Justin, son époux, qui sort alors de sa vie confortable de diplomate et jardinier amateur pour sillonner le monde à la recherche de la vérité. Il découvre que Tessa était sur le point de révéler les pratiques criminelles d’un puissant groupe pharmaceutique…
John Le Carré, pour toujours au sommet
Est-il bien utile de présenter cet auteur incontournable des romans d’espionnage ? John Le Carré, disparu en 2020, a lui-même travaillé dans le renseignement britannique avant de lancer sa carrière littéraire prolifique. Bon nombre de ses romans ont été adaptés au cinéma ou en série, dont La constance du jardinier, en 2005.
Bref, la réputation et le brio de l’auteur ne sont plus à faire depuis longtemps. Mais en choisissant aujourd’hui cet ouvrage paru en 2001, on pourrait s’imaginer craindre un certain vieillissement, une ringardise sans le côté vintage charmant des espions au temps de la guerre froide.
Il n’en est rien. Ce récit n’a rien perdu de sa force ni de son actualité. L’une des seules façons de voir que le temps a passé, c’est sûrement que le personnage principal ne sait pas se débrouiller pour allumer un ordinateur et ouvrir des mails. En dehors de ça, le cocktail est parfait et fonctionne pour nous entraîner dans une quête haletante.
Changer d’univers
J’ai eu la sensation, dès le début du roman, que ce livre me happait toute entière dans les filets de l’intrigue. La mise en place ne laisse déjà pas de répit. On arrive en plein milieu d’une crise, le meurtre de Tessa Quayle, avant même d’avoir pu se repérer parmi les différents personnages, etc. On se sent perdu, déjà les tenants et les aboutissants nous échappe pour la situation, avant même le début de l’enquête.
Perdus, livrés à nous-mêmes, que faire ? On se raccroche au personnage dont le narrateur adopte le point de vue, le premier secrétaire de l’ambassade, Woodrow. Ce qui, en soi, est surprenant. Puisque si on a lu la quatrième de couverture, on sait déjà que ce n’est pas le mari de la victime… Et l’auteur ne tarde pas à nous faire sentir que ce personnage nous cache aussi des choses. A suivre son point de vue, le lecteur a-t-il été trop naïf ?
Et ce n’est que la première rupture, presque la première trahison, que l’on doit digérer pour avancer dans l’intrigue. On ne sait pas à qui se fier, qui sait quoi, qui a intérêt à cacher quoi ? John Le Carré nous donne à vivre une expérience immersive assez proche du jeu d’enquête Détectives de Iello. Dans ce jeu de société, on est enquêteur et il faut résoudre des enquêtes. J’ai trouvé que La constance du jardinier proposait un jeu similaire au lecteur. On ne reste pas passif à simplement tourner les pages en attendant le dénouement servi sur un plateau. Là au contraire, il faut trier les indices, essayer de deviner les intentions des protagonistes, etc. Et puis toujours chercher à se repérer dans cette petite société d’expatriés qui accumule les masques et les complots…
On se sent sûrement d’autant plus impliqués dans la recherche de la vérité que Justin Quayle est un simple diplomate et non un agent de renseignement de profession. Ainsi lui aussi improvise et rend toute l’histoire plus humaine et plus proche de chacun de nous.
Les maux fangeux de notre modernité
Mais ce qui hisse encore ce roman au-dessus des histoires d’espionnage “classiques”, c’est encore le fonds de l’intrigue. Au-delà du rythme, des péripéties bien amenées, du style impeccable, l’auteur nous tend un miroir. Un miroir particulièrement pénible à regarder. Car, John Le Carré a-t-il seulement eu besoin de beaucoup forcer le trait pour représenter ce qu’il dénonce ?
Des intérêts politiques et diplomatiques qui ferment les yeux sur les droits humains bafoués chez certains de leurs partenaires. Des collusions si banales entre la classe politique et les hommes d’affaires pas franchement tout blanc… Le gouffre entre les belles paroles de l’Occident et la réalité de l’aide apportée notamment aux pays africains.
Et bien sûr, au cœur de ce récit, les pratiques parfois bien loin de la déontologie des laboratoires pharmaceutiques, notamment quand il dépeint le recours aux pratiques lobbyistes. Pour “sponsoriser” des chercheurs qui publieront des papiers scientifiques plus favorables, etc. J’ai eu l’impression parfois de relire l’enquête Lobbytomie parue en 2022 par la journaliste du Monde Stéphane Horel. Et ce roman date donc de l’an 2000 pour sa rédaction, dommage de ne pas pouvoir le trouver “daté” sur ces points 🙂
En résumé, La constance du jardinier est un roman captivant, que l’on ne veut pas poser avant de connaître le fin mot de l’histoire… La pluralité des points de vue au fil du récit donne encore une autre dimension au texte, mettant en lumière, pour une même réalité, les différents points de vue possibles…