Résumé
L’oubli a dévoré l’amour. Effacement de l’être aimé : voilà ce qu’il reste ici d’Albertine pour le Narrateur. Ce roman entame le solde de la Recherche. Proust y analyse les phénomènes de la rupture amoureuse et de l’épuisement de la relation sous le poids du temps. « Mademoiselle Albertine est partie » : le départ ouvre le travail du deuil. Aux tentatives de faire revenir l’être aimé, aux soupçons intermittents sur ce départ (pourquoi, avec qui ?) répond la résignation face à la mort redoutée d’Albertine. Et si elle était vivante ? L’amour, lui, ne l’est plus. L’oubli a déjà fait son travail. Voilà Albertine remplacée par le souvenir et le divertissement du voyage. Elle laisse le Narrateur face à lui-même, face à sa solitude, face à la nécessité d’exister autrement. Albertine disparue finit par être captive de l’oubli. L’emprisonnement dans une relation malheureuse n’est-il pas déjà une mort ? L’amour serait-il une impasse ? Ne resterait alors que la vie sociale et le cabinet de travail, qui seront l’issue du Temps retrouvé. À travers cette superbe étude clinique de la rupture amoureuse, menée au moment du développement de la psychanalyse et de la théorie freudienne, Proust nous montre la force de l’oubli. Comme son contemporain Apollinaire, il nous murmure : « Ni temps passé / Ni les amours reviennent ».
Le tome le plus compliqué
Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Pour moi, la lecture de ce sixième tome a été compliquée ! J’étais ravie du dénouement très cliffhanger du cinquième tome. Avec ce départ surprise d’Albertine de la prison dorée qu’était l’appartement du Narrateur. J’ai repris mon souffle en même temps qu’elle.
J’attaque le tome suivant et… Pas de bol ! Même partie, et rapidement, même morte, Albertine continue d’obséder le Narrateur. Alors, certes, je ne peux qu’être d’accord avec le résumé. C’est une étude clinique, c’est clair. Et très humblement, ça ne m’a pas passionnée 😂
Bien sûr c’est toujours éclatant de vérité. L’illustration du lent processus du deuil est magistrale. Mais j’avoue qu’il me tardait de sortie de son délire malsain sur Albertine.
Et quand j’ai vu que le Narrateur, même après sa mort, s’occupait de faire vérifier si elle l’avait trompé, avec qui, comment… J’avais du mal à me sortir de mes sentiments assez négatifs sur l’entièreté de cette relation toxique.
Venise
Et, de surcroît, j’ai pu constater à nouveau comme il n’est pas nécessaire d’attendre avec impatience un passage plutôt qu’un autre. Je pense que c’est ça aussi qui m’a freinée dans ma lecture et ensuite frustrée. J’attendais le voyage à Venise du Narrateur avec sa mère. Le fameux. Le célèbre. LE voyage tant attendu depuis le début de la Recherche. A peine quelques dizaines de pages, j’ai été si déçue !
Alors, bien sûr, c’est très personnel. Je suis amoureuse de Venise. J’y suis allée plusieurs fois. Et à chaque visite, c’est l’émerveillement. La sensation de toucher du doigt quelque chose de magique, de vivre une expérience unique au monde. Certes, dès que je me suis débarrassée des cargaisons de touristes de la place Saint Marc 😀 C’est mon syndrome de Stendhal à moi, cette ville. Donc je l’attendais, magnifiée par l’écriture du plus grand, Proust. J’aurai préféré cinq pages sur ce voyage que les ressassements sur Albertine !
Mais c’est la liberté de l’artiste, il nous entraîne là où il le souhaite !
Une page qui se tourne
A la toute fin de ce sixième tome, on sent la fin qui approche. Le retour à Combray, le temps passé avec Gilberte. Elle qui est maintenant l’épouse trompée de Saint Loup. Le regard du Narrateur a changé sur les réalités de son enfance. Les côtés de Guermantes et de Méséglise sont passés pour lui de la puissance évocatoire des mots, à la réalité des familles qui les composent.
Les réflexions sur Gilberte, son premier amour, sont l’occasion d’un premier bilan pour le Narrateur. Quel a été son rapport aux “femmes de sa vie” ? Qu’en a-t-il retenu ? Qu’en a-t-il seulement compris ?
C’est la fin de jour, le crépuscule de cette œuvre magistrale qui se fait sentir dans les dernières pages. Le Narrateur a grandi, puis vieilli. Il change, en même temps que la société va changer d’époque.
Le moment amoureux refermé
Et, avec ces changements, le Narrateur laisse de côté la quête amoureuse. On sent bien que ça n’est plus le centre de ses préoccupations. Est-ce forcément un mal ? Comme on connaît maintenant la personnalité torturée et alambiquée du personnage… Ce n’est peut-être pas plus mal qu’il reste au loin des femmes si c’est pour les enfermer, les contrôler, les soupçonner…
Même au-delà du personnage principal, il n’y a pas beaucoup de relations équilibrées et joyeuses dans la Recherche. Entre les tromperies, les relations intéressées, les “libertins” au sens du dix-huitième siècle, les mariages de façade, etc. C’est sans doute rappeler qu’en son temps, l’Amour prêché avec un grand A n’était qu’une chimère.