Résumé
En réparant un étui à violoncelle, Grégoire découvre une partition ancienne. Elle pourrait être la légendaire 556ᵉ sonate du compositeur Domenico Scarlatti. À peine déchiffré, l’inestimable document disparaît. Débute alors une course folle qui précipite quatre autres personnages, aussi complexes que passionnés, à la poursuite de la mystérieuse partition : un luthier criblé de dettes de jeu, une claveciniste mondialement réputée dont la carrière est menacée, un universitaire aussi antipathique que savant et un riche collectionneur désoeuvré. Tous verront leur existence à jamais bouleversée par cette quête éperdue.
Un roman musical
J’ai choisi ce livre dans les rayonnages de ma librairie favorite. Tout de suite, le résumé m’a fait penser à deux textes de Mathias Enard. D’abord, son roman couronné du prix Goncourt Boussole, avec son héros musicologue à Vienne, et aussi l’opuscule Désir pour désir, publié en marge d’une exposition sur Venise il y a quelques années. J’avais adoré ces fictions où la musique se déployait par-delà les mots. On a l’impression de dépasser le seul acte de lire et d’enrichir l’expérience de la musique, du chant que nous propose l’auteur. C’est un tour de force et c’est toute la beauté de ce type de romans. En écrivant, je repense aussi au roman Prince d’orchestre de Metin Arditi. Là aussi, la musique tient sa place de personnage à part entière.
Donc, j’ai vu 555, j’ai dit, en avant bien sûr !
Et Hélène Gestern ne déçoit pas, là aussi, par-dessus l’intrigue, la musique se fait entendre pour le lecteur. Je ne connaissais pas du tout le compositeur Scarlatti dont il est question. Et c’était très agréable d’aller rechercher en ligne certaines de ses compositions à écouter, pour accompagner le roman.
Une chasse de passionnés
Le résumé est très clair, quatre personnages vont partir à la recherche de cette partition, disparue sitôt découverte. C’est le monde de l’art et de la musique pris par toutes ses facettes. Le luthier qui répare les instruments de musique. La musicienne virtuose au crépuscule de sa brillante carrière. Le musicologue spécialiste du compositeur, qui fait autorité dans le monde entier. Et enfin, un richissime collectionneur d’œuvres d’art, incapable de faire son deuil.
C’est selon moi très intéressant et très malin d’avoir réuni ce microcosme autour de la quête de cette nouvelle partition. On a une vue d’ensemble de ce qui forme le monde de l’art.
Et chaque personnage est passionné par Scarlatti et par cette occasion unique de découvrir un document inconnu de lui. Mais derrière la passion, on va vite découvrir les appétits. L’orgueil, la recherche de gloire, l’appât du gain… La partition représente bien plus que les notes de musique qu’elle contient…
Et c’est toujours ça avec la passion, non ? Qu’est-ce qui la déclenche ? Qu’est-ce qui se cache derrière, dans le secret des cœurs ? C’est peut-être le moteur le plus puissant pour nous faire agir. Et courir dans tous les sens !
Qui a raison ?
Plus on progresse dans le roman, plus on est perdu. Faut-il toujours courir après ce qui brille ? Une chose trop incroyable pour être vraie a-t-elle seulement une chance d’être vraie ? Ce sont ce genre de questions qu’on se pose en avançant dans la lecture du roman. Les personnages ont-ils raison de s’acharner ? Le mystère en vaut-il la chandelle ?
Ce qu’on suit dans cette chasse de passionnés, c’est aussi l’aveuglement propre à chacun. La partition représente quelque chose pour tous les quatre. Une chose plus ou moins tangible, plus ou moins atteignable… Et en tout cas, quelque chose qui les aveugle tous. Et nous aussi 🙂
Un suspense bien mené
Le roman est vraiment construit comme une enquête. On avance, aussi perdu, aussi égaré que les personnages. Cette partition existe-t-elle ? Est-elle authentique ? On y croit, on le veut. Pour le symbole, pour le geste. Quelle excitation incroyable que de découvrir un document inédit d’un artiste du passé.
Mais… Vraiment ? Mais quand on veut se réveiller, se poser des questions… Ou prendre du recul… Il est trop tard ! Dans une écriture limpide et franche, Hélène Gestern referme le piège sur nous comme sur ses personnages. Pas de pitié 😀
Un page turner
L’autre grande qualité de ce roman tient dans son rythme effréné. On ne voit pas le temps passer ! A chaque fin de chapitre, on veut connaître la suite, et encore et encore. Et hop, on est déjà au dénouement. En un clin d’œil, le roman se termine sur une apothéose.
Hélène Gestern nous fait passer par toutes les émotions et nous égare sur de fausses pistes avec brio. Le tout, en étant sans concession à l’égard de ses personnages. Elle les dévoile faillibles, loin d’êtres parfaits et ne méritant pas forcément la rédemption…
Cette enquête tient vraiment toutes ses promesses. A la fin, on est comme à la fin d’un concert, à réclamer un bis 🙂