J’ai lu coup sur coup ces trois textes dont je m’apprête à vous parler. Pour tous les trois, l’action se passe pendant le Seconde guerre mondiale, ou bien le récit y renvoie. Or, c’est presque par hasard que j’ai fait ces lectures.
En effet, en flânant entre les rayons de la librairie, j’ai sélectionné ces romans pour leur titre alléchant. Le goût sucré des souvenirs, Café viennois et Un goût de cannelle et d’espoir. Je souhaite m’attarder dans ce post sur les liens faits par les trois autrices entre les atrocités dont il est question et la centralité de la cuisine ou de la gourmandise dans ces romans.
Mais d’abord, voici les résumés de ces trois livres.
Le goût sucré des souvenirs – Beate Teresa Hanika
Elisabetta Shapiro, 80 ans, vit seule dans sa maison familiale au cœur de Vienne. De son enfance, elle a conservé des dizaines de pots de confiture d’abricot. Tous sont soigneusement étiquetés et indiquent l’année de leur fabrication. Véritable madeleine de Proust, la confiture fait immanquablement jaillir les souvenirs : les jours tranquilles rythmés par les chants de sa mère, Franz, le voisin dont elle était follement amoureuse, ses grandes sœurs qu’elle jalousait secrètement. Et puis la montée du nazisme dans les années 1930, l’arrestation de toute sa famille par les SS, la solitude et la perte des repères.
Quand Pola, une jeune danseuse, emménage chez la vieille dame, ses habitudes sont chamboulées. D’autant plus que Pola lutte elle aussi contre ses propres démons…
Café viennois – Michèle Halberstadt
Partir avec sa mère. Quelle drôle d’idée. Clara voyageait toujours seule. Une interview. Une valise. Une chambre d’hôtel. Partir avec sa mère. Redevenir l’enfant qu’on n’en finit jamais d’être aux yeux de celle qui vous a mise au monde et admettre qu’il en sera ainsi pour l’éternité… Partir avec sa mère. Une bonne action pour rattraper les mauvaises.
Un goût de cannelle et d’espoir – Sarah Mccoy
Allemagne, 1944. Malgré les restrictions, les pâtisseries fument à la boulangerie Schmidt. Entre ses parents patriotes, sa sœur volontaire au Lebensborn et son prétendant haut placé dans l’armée nazie, la jeune Elsie, 16 ans, vit de cannelle et d’insouciance. Jusqu’à cette nuit de Noël, où vient toquer à sa porte un petit garçon juif, échappé des camps…
Soixante ans plus tard, au Texas, la journaliste Reba Adams passe devant la vitrine d’une pâtisserie allemande, celle d’Elsie… Et le reportage qu’elle prépare n’est rien en comparaison de la leçon de vie qu’elle s’apprête à recevoir.
La mémoire et la transmission
C’est pour moi l’autre grande ressemblance entre les trois romans. Conserver la mémoire de l’horreur pour honorer les morts et éduquer les vivants. Et pour conserver vive cette mémoire, au-delà des actions des Etats, la transmettre dans les familles. Famille de sang ou famille choisie d’ailleurs. Faire vivre les souvenirs personnels des rescapés, au-delà de leur vie sur Terre.
En cela, les trois autrices nous délivrent des textes puissants et extrêmement émouvants. Au-delà de l’apprentissage factuel dans les livres d’histoire, les fictions ont toute leur place pour faire vivre les mémoires. En lisant, nous insérons ces personnages si touchants, si proches de nous dans la grande machine à broyer du nazisme et de la guerre.
Les autrices abordent l’exil, la mort, la clandestinité, l’horreur de cette période du XXe siècle. C’est aussi faire œuvre contre l’oubli qui pourrait menacer.
La place de la cuisine dans ces histoires
Et j’en viens à ma réflexion sur la présence de la cuisine dans ces trois ouvrages. Devant la gravité des arcs narratifs choisis, est-ce purement un moyen de contrebalancer ? De laisser parfois le lecteur se reposer avec un paragraphe plus léger ? Les descriptions des viennoiseries à peine sorties du four, la confiture d’abricot, etc.
Est-ce une manière de montrer que même dans les pires moments, les besoins basiques ne changent pas ? Ce chien de ventre, pour reprendre l’expression homérique, est toujours là pour se faire entendre ?
Ou bien serait-ce que ces récits sont axés autour de personnages féminins ? Et la cuisine est traditionnellement attribuée et dévolue aux femmes. Donc en parler, même dans ce contexte terrible, c’est parler du quotidien des héroïnes ?
Est-ce qu’en se concentrant par moments sur le quotidien, par le truchement de la gourmandise et de la cuisine, on souligne d’autant plus l’humanité de toutes les personnes décrites ? Comme l’écrit magnifiquement Ryoko Sekiguchi dans 961 heures à Beyrouth, la cuisine est le langage le plus universel, celui qui à coup sûr nous ramène tous, en un instant, à la communauté des Humains.
C’est peut-être enfin une manière d’incarner les souvenirs. Bien au-delà des théories et des grandes tirades, nos mémoires s’attachent à du concret. A des choses matérielles, sensorielles, et quoi de mieux pour cela que ces petits plats qui nous font saliver rien que d’y penser ? 🙂