Résumé
Zamir a six jours lorsqu’une bombe explose à al-Aman, un camp de réfugiés à la frontière turco-syrienne où sa mère l’a abandonné. Il survit, grâce à l’acharnement d’un chirurgien, mais reste défiguré. Élevé par All for All, une organisation humanitaire internationale, il devient un symbole, une image idéale pour collecter des fonds. Jeune adulte, il s’en émancipe pour rejoindre la Fondation pour la Première Paix mondiale et investir un poste clé de négociateur de l’ombre. Partout où un conflit armé est sur le point d’éclater, Zamir se précipite, l’empêche. Il rencontre des ministres, des dictateurs, des terroristes, ne recule devant rien. Pour les forcer à négocier, il les trompe, les fait chanter. Il n’a qu’un seul mot d’ordre : la paix avant tout, quel qu’en soit le prix.
Un roman d’une actualité brûlante
Le dernier roman de Hakan Günday, paru en 2023, se nourrit du plus sombre de l’actualité pour devenir une œuvre littéraire. La guerre en Syrie, la crise des réfugiés, la montée des extrêmes en Europe, le business derrière les idéaux des organisations caritatives… Tout y passe ! On est au cœur de ce qui fournit déjà les gros titres de la presse ou des journaux télé.
Mais l’auteur va légèrement décaler le curseur. L’histoire se déroule sur à peine quelques jours. Les derniers jours de l’année. A l’aube du nouveau millénaire. Mais quel millénaire ? On s’interroge, et puis le lecteur choisit. Ou devrais-je dire, à l’impression de choisir.
Une construction intelligente du récit
Dans ce roman, on adopte le point de vue du personnage principal, Zamir. Et on va alterner entre son quotidien trépidant et de longs flashbacks. Ces retours en arrière sont indispensables pour éclairer le caractère et les choix du héros. Et en même temps bien sûr, cela permet de vraiment faire monter la pression quant à l’action qui se déroule dans le présent.
Parfois ce découpage peut-être un peu déstabilisant ou artificiel, mais justement ce n’est pas du tout le cas ici !
En avançant dans la lecture, un bel équilibre se fait entre les différentes temporalités et on se laisse porter jusqu’au dénouement.
Zamir, un anti-héros dans les règles de l’art
Ce personnage, marqué dans sa chair par les atrocités, on ne sait pas trop quoi penser de lui finalement ! Ses blessures et les séquelles à vie appellent bien sûr la compassion et la pitié. Tout comme aussi sa jeunesse passée à servir une ONG, au détriment de ses aspirations personnelles de jeune garçon.
Ces passages sont l’occasion pour l’auteur de véritablement étriller le monde des œuvres de charité et des ONG en général. Face au nerf de la guerre universel, l’argent, que faire et comment faire pour en obtenir toujours plus ? Et est-ce vraiment au service des causes défendues ? Ou cela passe-t-il en frais de fonctionnement de ces entreprises globalisées qui ne disent pas leur nom ?
Bref, on compatit avec Zamir, on apprend à le connaître. Mais l’adulte qu’il est devenu, peut-on le comprendre ? Sous couvert de vouloir la paix, ou du moins, retarder les conflits, doit-on tout justifier ?
On se met à douter de tout, y compris de cet anti-héros cynique et désabusé.
Le cynisme et la rage
Mais Zamir est aussi le porte-voix de deux marqueurs qui forgent vraiment l’écriture selon moi. L’auteur imprime ce ton à la fois cynique et rageur à l’entièreté du roman. C’est d’ailleurs un récit qui porte des opinions fortes, c’est engagé parfois même choquant. Mais on continue la lecture, ce n’est pas l’appel du sang qui motive, c’est plutôt un goût bilieux amer dans la gorge. A certains passages, on peut être qu’écoeuré des réalités qui trouvent leur place dans cette fiction.
Cette lecture, ça peut vite devenir aussi une lutte contre le fait de se laisser gagner par le cynisme…
Le revirement de situation là où on ne l’attend pas
C’est ce que j’ai le plus aimé dans ce livre coup de poing. Sans en dire trop pour ne pas gâcher la lecture, je veux toutefois évoquer la finesse de l’auteur dans ce plot twist vraiment surprenant. Vers la fin du récit, la réponse à la question lancinante que l’on se pose depuis le début trouve sa réponse. Une réponse claire nette et précise comme on dit.
Et c’est l’occasion pour l’auteur de justifier son choix, et d’assumer l’aspect engagé de son écriture. Sur une page à peine, on quitte momentanément l’histoire. Et l’auteur nous montre qu’il ne nous a pas trompé. Que devant ce qui nous semblait invraisemblable on a fait une supposition et un choix mental. Et Hakan Günday déconstruit nos raisons de l’avoir fait.
J’ai aimé ce roman qui bouscule, qui est difficile à lire parfois. Mais j’ai adoré ce passage précis d’écriture. L’apothéose est là selon moi.
En résumé, c’est un roman qui malmène son lecteur, explore les bas-fonds de l’âme humaine jusqu’à la nausée. Mais ce n’est pas une raison de passer à côté de cette histoire, très bien écrite et qui donne à réfléchir.
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