Résumé
Vous êtes Viviane Élisabeth Fauville. Vous avez quarante-deux ans, une enfant, un mari, mais il vient de vous quitter. Et puis hier, vous avez tué votre psychanalyste. Vous auriez sans doute mieux fait de vous abstenir. Heureusement, je suis là pour reprendre la situation en main.
La folie
En lisant cette quatrième de couverture lapidaire, c’est ce que l’on se dit. Viviane Elisabeth Fauville ? Une plongée dans la folie, pour sûr ! Et ce n’est pas faux… Ville, Fauville 😉Quoi d’autre peut pousser une femme à un crime pareil ?
Mais en y regardant de plus près, est-ce qu’on a vraiment tout dit en proclamant, “elle est folle” ? Certains sont peut-être même jusqu’à se dire, cette héroïne est hystérique. Est-ce que pour autant on fait le tour de la question ? Ou rate-t-on l’essentiel dans la vie de cette femme ?
Il me semble pourtant qu’on a une sacrée piste d’explication quant à son comportement dès l’incipit.
“L’enfant a douze semaines”
Sa fille, son premier bébé, a donc trois mois. Quelques semaines à peine depuis le plus grand bouleversement d’une vie. Quelques semaines sans sommeil, ni repos. Ni assistance ou partage des soins à l’enfant avec son époux.
Son mariage vient d’exploser en vol après deux ans de vie commune. C’est le mari qui part, mari adultérin. Viviane a simplement pris sa fille sous le bras et a emménagé dans un nouvel appartement. Sans ouvrir les cartons.
Est-ce que ça ne ferait pas un peu beaucoup à porter pour une femme seule à trois mois de post-partum ? Ne ferait-elle pas sa propre version de la dépression du postpartum ?
Alors je suis allée rechercher sur internet des critiques de cet ouvrage à sa sortie, pour y confronter cette idée. Je ne l’ai pas retrouvée. Pourtant, c’est ce qui m’a marqué dès le début de la lecture. N’avons-nous pas en place tous les ingrédients de l’effondrement psychologique pour une femme abandonnée avec son nouveau-né ? Cet état de nerfs, de pagaille hormonale, sentimentale, ce manque de repos… Ca peut donner des envies de meurtre, non ?
Les hommes de sa vie
Cela n’empêche pas Viviane d’avoir ses fêlures, comme tout un chacun. Mais la différence, c’est que sans soutien, on peut basculer. Quel soutien peut-elle actionner dans sa vie ? Sa mère, pilier pour elle, est décédée. Et Viviane n’a pas pu se résoudre à vendre son appartement, conservé en l’état comme un mausolée.
Alors qui ? Un mari bientôt ex-mari, qui en plus l’a trahie en la trompant. Un patron bien jusqu’ici mais elle s’inquiète que sa remplaçante pour le congé maternité ne l’ait un peu trop remplacée à son poste. Là aussi, combien de femmes peuvent s’identifier à cette angoisse ? Bref, ce ne sera pas qu’une idée pour Viviane. Donc là aussi, dans sa carrière professionnelle, trahison.
Reste qui ? Le psy. Trois ans de thérapie avec lui, et l’on comprend qu’elle ne lui fait pas confiance, qu’elle se sent coincée et qu’elle voudrait avancer avec son aide mais qu’il la lui refuse. Au moins du point de vue de l’héroïne, c’est encore une trahison.
Il y a de quoi perdre pied. Et s’enfoncer dans des interactions encore plus glauques. En témoigne, la tournure violente que prendra sa rencontre avec un autre suspect du meurtre du psychanalyste. Un homme qui la violente sans que ce soit clair jusqu’à quel point…
Finalement, son seul point d’accroche, c’est sa petite fille. A qui elle s’accroche, littéralement pour ne pas tomber.
Alors, folle ou pas ?
On en revient au point de départ. On oscille dans notre appréciation. Au fil de l’histoire, on tergiverse. Non, elle n’est pas folle. Ah si en fait, carrément. Combien de fois laisse-t-elle sa fille seule sans aucune surveillance ? Oui mais avec des couvertures moelleuses, oui mais avec le chauffage pour pas que la petite ait froid… N’empêche, pas moyen de ne pas lui jeter la pierre au cours de ces passages.
Mais ces passages ont-ils réellement eu lieu ? C’est tout l’intérêt de l’enquête policière et de l’enquête que Viviane mène seule en parallèle. Où est la vérité ? Et la variation de l’emploi des pronoms pour se référer à l’héroïne participe à brouiller les pistes et embrouiller les esprits.
Et c’est peut-être avec le dénouement que l’on se rappelle la citation en exergue du roman. Une phrase de l’auteur et dramaturge Samuel Beckett. Maître de l’absurde de l’humour absurde pour évoquer des sujets austères. Julia Deck s’est donc placée sous son patronage peut-on dire.
Peut-être qu’à notre tour en tant que lecteurs, nous ne devons pas prendre le texte trop au sérieux ? Prendre l’humour là où il est même si c’est de l’humour noir ?
Dans tous les cas, étant fan de l’autrice, j’ai beaucoup apprécié ce texte. Et j’ai eu beaucoup de tendresse pour cette héroïne tragico-comique. Sa maternité est au cœur du texte même si d’abord il semble que ce soit la “banale” enquête qui prenne le pas. Il n’en est rien, cette mère célibataire se débat pour ne pas couler.