Résumé
La guerre d’Indochine est l’une des plus longues guerres modernes. Pourtant, dans nos manuels scolaires, elle existe à peine. Avec un sens redoutable de la narration, « Une sortie honorable » raconte comment, par un prodigieux renversement de l’histoire, deux des premières puissances du monde ont perdu contre un tout petit peuple, les Vietnamiens, et nous plonge au coeur de l’enchevêtrement d’intérêts qui conduira à la débâcle.
Le contexte historique
Ce roman de Eric Vuillard suit la chronologie réelle des derniers soubresauts de la guerre d’Indochine. Au moment où les troupes françaises se sont fracassées contre les insurgés Vietnamiens. Ce conflit a duré huit ans, de 1946 à 1954. Les nationalistes vietnamiens, le Viêt-Minh, se sont soulevés contre les colons français dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. La France est sortie exsangue de cette guerre, affaiblie aussi dans ses rêves de puissance colonisatrice. En parallèle, l’essor des idéaux communistes et le début de la guerre froide ont favorisé les rébellions pour forcer les Français à se retirer. Présents dans cette région depuis 1884, la guerre d’Indochine est le premier conflit de décolonisation que la France a affronté.
A partir de 1949, la Chine communiste arme et soutient la guérilla et le conflit change de dimension. C’est une véritable armée conventionnelle qui voit le jour. Et elle se renforce au fil des années tandis que les troupes françaises s’enlisent.
La guerre au Viêtnam avant la guerre du Viêtnam
Ce conflit passe plus facilement sous les radars en France. Trop vieux, trop loin et puis la guerre des Etats Unis sur ce même théâtre à la suite de l’échec français monopolise la mémoire. Eric Vuillard, prix Nobel de littérature en 2017, nous ramène justement au moment des dernières heures de la domination française sur place. Ce moment mortifère et tragique où l’Etat français a dû se résoudre à arrêter les frais. Malgré le soutien très actif des Etats Unis, malgré l’envoi de troupes, de supplétifs… La France est battue et abandonne le terrain aux Américains. Eux aussi vont s’enliser, jusqu’en 1973.
D’ailleurs, grâce à une ellipse temporelle, l’auteur nous montre aussi le départ des dernières troupes américaines du Viêt Nam. Ce livre a paru en janvier 2022. Impossible de ne pas superposer le texte et les images que nous avons tous vu du départ des derniers avions militaires américains de Kaboul en août 2021…
Un texte brut
L’auteur donne à lire un récit au plus près de la réalité historique. Sans fioritures, Eric Vuillard va à l’essentiel dans ce roman. D’abord le contexte colonial, il ne faut pas longtemps pour comprendre l’horreur des conditions de travail des coolies, le racisme systémique et la complaisance des représentants de l’administration française. Comme le dit Don Gaetano dans Todo Modo “ce qui ne se sait pas n’existe pas”… Tout un programme…
Les planteurs, industriels et autres qui se dédouanent des mauvais traitements en accusant un sous fifre, un bras droit etc. J’ai l’impression de parler de toutes ces actualités sordides de scandales touchant des marques épinglées pour les conditions de travail déplorables, à dire le moins, de leurs sous-traitants dans les pays défavorisés.
Les rouages de la guerre
C’est ce que l’auteur s’attache à décortiquer le plus précisément possible. Car dans tout conflit, il y a ceux qui le subissent : les populations locales, les soldats, dépêchés d’autres colonies françaises pour le cas de l’Indochine. Et il y a ceux qui le décident : les gouvernants, les hauts gradés de l’armée et les représentants du pouvoir économique (banques et industriels).
Des intrications plus complexes que les discours ne le laissent jamais paraître, des intérêts déguisés en poupées russes. Ce roman permet de mettre en lumière ces acteurs discrets du conflit. Les uns après les autres, l’auteur les épingle et donne à voir les ambitions de carrière, les conflits d’intérêt, etc. Et en parallèle de toute cette agitation en métropole, à Paris, l’auteur nous mène jusqu’à la défaite française de Dîen Bîen Phu. Ce camp retranché, devenu une souricière mortelle pour de nombreux soldats. Cette bataille, la dernière majeure avant le retrait de la France, est aussi une manière d’illustrer dans le texte l’aveuglement français de l’époque. Jusqu’où peut mener l’entêtement et la poursuite d’une politique déconnectée du terrain.
A la lecture, il est difficile de ne pas penser à la prochaine guerre de décolonisation où la France s’est entêtée et enlisée, l’Algérie…
L’hypocrisie en face
Eric Vuillard dresse le portrait de toutes les hypocrisies, grandes ou petites, qui servent à justifier un conflit. Son roman fait l’effet d’une grande baffe. On remet les choses à leur place, dans leur contexte. Mais même dans leur contexte, les choix de poursuivre une guerre perdue d’avance ne font pas plus sens. En achevant ce livre, on reste avec un sentiment prégnant d’impuissance et de colère devant les chiffres des victimes de la guerre.
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