Résumé
Il était temps de devenir propriétaires. Soucieux de notre empreinte environnementale, nous voulions une construction peu énergivore, bâtie en matériaux durables. Aux confins de la ville se tramaient des écoquartiers. Notre choix s’est porté sur une petite commune en plein essor. Nous étions sûrs de réaliser un bon investissement.
Plusieurs mois avant de déménager, nous avons mesuré nos meubles, découpé des bouts de papier pour les représenter à l’échelle. Sur la table de la cuisine, nous déroulions les plans des architectes, et nous jouions à déplacer la bibliothèque, le canapé, à la recherche des emplacements les plus astucieux.
Nous étions impatients de vivre enfin chez nous.
Et peut-être aurions-nous réalisé notre rêve si, une semaine après notre installation, les Lecoq n’avaient pas emménagé de l’autre côté du mur.
C’est mon libraire qui m’a conseillé cette petite pépite. L’ambiance de ce microcosme, presque huis clos, m’attirait en lisant la quatrième de couverture.
Toutefois ce sont les premières lignes de l’ouvrage qui m’ont conquise. Elles donnent le ton, caustique et quelque peu inquiétant, du roman !
Un polar qui se dévoile
Tout d’abord, le premier chapitre transporte le lecteur au cœur de l’action grâce à une prolepse, un flash-forward. On soulève ainsi le coin du rideau. Le lecteur peut apercevoir par anticipation la situation tendue qui attend les personnages principaux, sans la comprendre encore.
L’effet dramatique fonctionne merveilleusement, on est intrigué et d’un certain côté amusé de voir où le récit va nous mener. L’univers dramatique est contrebalancé par le fait que le personnage envisage de tuer oui, mais de tuer un chat.
On perçoit dès ce moment qu’on aura plus à faire à un pastiche de polar qu’un roman véritablement noir.
Une image idyllique
La satire sociale se profile également avec ce récit. Un couple bourgeois qui acquiert sa résidence principale dans un écoquartier en banlieue parisienne… Le décor est planté !
Le récit s’ouvre avec ce cadre proprement idyllique, un quartier rénové très moderne… Où tous les habitants arrivent à peu près en même temps. On va suivre la création de la communauté dès les prémices.
Tout le monde fait des efforts avec les voisins, des sourires, des invitations pour l’apéritif etc…
Mais après l’anticipation joyeuse du couple d’emménager dans ce qu’ils imaginent devenir leur triomphe, leur petit nid, les galères ne se font pas attendre. Le vernis se craquelle de toutes parts. Du chauffage 100% énergies renouvelables inutilisable aux premières tensions avec les voisins à cause de la mitoyenneté.
Certains passages prêtent vraiment à sourire, n’importe quel lecteur peut s’identifier à ces problèmes de voisinage qui sont le lot de la vie en société. Même dans un quartier bobo comme celui dépeint dans ce livre !
Une lente descente aux enfers
L’autrice Julia Deck entraîne le lecteur avec brio tout au long de cette lente, et au début imperceptible, descente aux enfers. Derrière la satisfaction de posséder son logement, les personnages principaux vont découvrir les aléas.
Des commérages incessants des uns sur les autres, aux travaux bruyants qui forcent à s’exiler dans un bar-tabac pour travailler… L’ambiance n’est plus au beau fixe entre les habitants et le meurtre d’un chat du voisinage finit de figer les tensions et de renvoyer tout le monde chez soi, pour éviter les contacts avec les potentiels tueurs d’animaux qui vivent forcément parmi eux.
Egalement, grâce à la narration à la première personne du singulier, le lecteur plonge vraiment au cœur de l’action. Toutes les émotions, les frustrations de madame Caradec, on ne connaîtra pas son prénom, parviennent sans filtre au lecteur. La proximité avec les personnages est encore renforcée car durant tout le récit, l’épouse s’adresse directement à son époux avec le “tu”.
La partie vraiment polar se déploie dans la seconde moitié du roman, une fois que l’image d’Epinal a bien eu le temps de se déliter et de pourrir, laissant la voie libre pour mettre en place le crime, autrement plus grave que le meurtre du chat !
Là encore, le quartier se transforme en petit village et tout le monde a son mot à dire sur l’enquête, tout le monde est témoin ou suspect. Le lecteur suit avec amusement les déboires des personnages, sans voir de quel côté pourra venir le deus ex machina pour les sauver.
Une critique caustique
J’ai eu, en lisant Propriété privée, des souvenirs de L’Assommoir de Emile Zola, en moins glauque évidemment. Avec cette description d’une petite ascension mais qui semble être le bout du monde pour le personnage, avant que les événements de la vie ne viennent tout lui prendre, pour retomber plus bas qu’au point de départ.
J’ai tout de même apprécié, par rapport à cette référence classique, l’usage de l’humour noir qui ponctue tout le récit et place le lecteur dans une position confortable de connivence pour regarder s’agiter les personnages.
Ce livre est une critique mordante mais aussi hilarante de notre société, tout entière vouée à l’accès à la propriété, à n’importe quel prix…
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