Résumé
De nos jours, dans le désert du Sahara, deux agents secrets français et américain pistent des terroristes trafiquants de drogue, risquant leur vie à chaque instant. Une jeune veuve tente de rejoindre l’Europe et se bat contre des passeurs. Elle est aidée par un homme mystérieux qui cache sa véritable identité. En Chine, un membre du gouvernement lutte contre de vieux faucons communistes qui poussent le pays vers un point de non-retour. Aux États-Unis, la première femme élue présidente doit manœuvrer entre des attaques au Sahel, le commerce illégal d’armes et les bassesses d’un rival politique.
Alors que des actions violentes se succèdent partout dans le monde, les grandes puissances se débattent dans des alliances complexes. Pourront-elles empêcher l’inévitable ?
Le vertige de l’ultra réel
C’est avec ce roman publié en 2023 que je découvre l’écriture de Ken Follett. Je ne suis généralement pas très cliente des ouvrages à rallonge mais j’ai fait avec ce livre une petite entorse.
Et ce roman est si rythmé, millimétré, qu’on ne voit pas passer les centaines de pages. On est arrimés à la narration, impatients de connaître la suite et surtout le dénouement.
C’est donc un roman que l’on peut dire d’anticipation mais ancré dans notre réalité actuelle. L’engrenage implacable n’en est que plus insupportable.
On est dans l’effroi de se contempler soi-même, comme Narcisse dans la mythologie grecque. Et avec la fin tragique qu’on lui connaît ! Car on compare beaucoup au fil de la lecture. A qui nous fait penser tel politicien, telle réaction diplomatique, tel fait divers dans le monde… Et l’auteur nous emmène dans ce tourbillon.
Pour rien au monde est un roman que je mets dans la même lignée que Zamir de Hakan Günday. Un miroir sans fard de notre actualité, mais avec deux regards bien sûr différents, bien plus américano-centré pour Ken Follett.
Une épopée planétaire
La beauté de ce récit immense, c’est aussi d’avoir multiplié les points de vue. On ne reste pas dans les opérations des services secrets, ni dans la politique à Washington. Même si ces deux aspects de la narration ont tout à fait leur importance. Et l’on s’y plonge avec entrain, c’est évident.
Mais on pourrait objecter que ce sont des thématiques bien connues. Mais la ligne narrative correspondant au pouvoir chinois est beaucoup plus novatrice et captivante. L’auteur acte une configuration certes pas tout à fait vraie du point de vue géopolitique, mais toujours vendeuse. C’est une configuration entre deux superpuissances, comme au bon vieux temps de la Guerre froide. Mais on remplace les Soviétiques par les Chinois.
J’ai beaucoup aimé le sens du détail et toutes les précisions que l’auteur nous donne sur le fonctionnement du gouvernement chinois, ce qui est moins connu en Occident.
De même, l’importance de la Corée du Nord dans le jeu stratégique mondial est plutôt bien représentée.
Mais on n’est pas dans un essai, mais bien dans de la fiction. Il y a des gentils et des méchants parfois un peu manichéens, et le talon d’Achille qui mène à la ruine se trouve dans le camp “méchant”.
Replacer le danger nucléaire au centre
C’est finalement tout le propos de ce roman très dense. Rendre à la menace nucléaire sa place dans l’ordre des angoisses mondiales. Pour les nouvelles générations qui n’ont pas connu la Guerre froide et la crise des missiles de Cuba, les arsenaux nucléaires peuvent sembler tranquillement reléguer dans les oubliettes.
Ken Follett imagine un monde qui aurait besoin de les dépoussiérer… C’est la catharsis par la lecture. Ne pas faire advenir un malheur en l’évacuant dans la fiction, comme c’était l’objectif du théâtre antique par exemple. Et c’est aussi, produire un texte captivant, page turner, jouer avec les nerfs du lecteur… Soulagé en refermant l’ouvrage de trouver une réalité plus calme !
La maîtrise du rythme est impeccable et la multiplication des points de vue en augmente encore l’efficacité.
On passe ainsi de scènes d’action dans le désert, à l’action politique par le truchement des canaux de la diplomatie, tout en observant les vies privées ordinaires des personnages.
Peace and love
“Peace and love” c’est aussi l’une des dimensions de ce roman. Faites l’amour, pas la guerre ! Ce slogan des hippies des années 1960 trouve une résonance en filigrane tout au long du texte. Car tous les personnages, ni bons ni mauvais intrinsèquement, sont en quête d’amour. De flirt, de grand amour, d’amour filial, conjugal, etc.
C’est l’imbrication de ces considérations privées, qui paraissent triviales au regard du drame politique et militaire qui se noue, et du chaos de la Grande Histoire qui donne du souffle jusqu’à la fin. On peut penser, administrer le pire et ne jamais cesser de penser à l’amour. Ken Follett en fait le sentiment universel par excellence. Peut-être le ciment entre toutes les nations ? 😉