Résumé
Une journée dans la vie d’une femme. Vivant dans la haute société anglaise, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’héroïne s’interroge sur ses choix – pourquoi n’a-t-elle pas épousé l’homme qu’elle aimait vraiment, qui lui rend visite ce jour-là ? -, ses souvenirs, ses angoisses – pourquoi est-elle si frappée par la mort d’un ancien militaire qui ne s’est pas remis de la guerre, pourtant un parfait inconnu pour elle ? Crise existentielle qui mène à un dédoublement de personnalité, aux portes de la folie.
Ce grand monologue intérieur exprime la difficulté de relier soi et les autres, le présent et le passé, le langage et le silence, mais aussi de se reconnaître soi-même. Comment s’émanciper du carcan social, comment assumer son identité ? Publié en 1925, Mrs Dalloway est le chef-d’œuvre de Woolf et l’un des piliers de la littérature du XXᵉ siècle. Dans ce roman poétique, porté par la musique d’une phrase chantante et d’une narration incisive, les impressions deviennent des aventures.
La modernité en marche
Ce qu’on retient avant tout de cette œuvre, c’est bien sûr la grande modernité de l’écriture. Virginia Woolf développe une esthétique propre. Cette autrice appartient au courant littéraire anglais des modernistes..
Au-delà des règles canoniques de construction d’un roman jusque-là, au début du XXe siècle, Woolf cherche à dépasser ce canevas. Et c’est cette écriture du flux de conscience qui lui permet de quitter les sentiers battus.
Elle garde en effet une intrigue pour son récit. Mais l’intrigue est mince, ramassée dans le temps et ouvre de très nombreuses portes. Sans forcément les refermer. C’est donc la journée d’une aristocrate anglaise qui reçoit le soir et s’y prépare. On a encore ce lien clair à l’intrigue, le moment n’est pas encore venu de s’en affranchir complètement. Comme ce sera plutôt observable avec le courant du Nouveau Roman en France, avec notamment Les Fruits d’or de Nathalie Sarraute.
Pour le moment, dans les années vingt, les années folles, Virginia Woolf fait figure de pionnière. Pionnière sur cette façon d’écrire très libre et pionnière aussi bien sûr en tant que femme dans le monde de la création artistique.
Un double contexte historique
Il faut, selon moi, replacer Mrs Dalloway dans son contexte historique réel. Pour son importance symbolique d’abord. Avec la première percée de femmes artistes dans ces années 1920. Après un quasi effacement des femmes en art au XIXe siècle, le changement de siècle va permettre à certaines de se révéler.
En caricaturant un peu, on peut tout de même dire ceci. Tandis que Matisse peignait encore des odalisques indolentes orientalisantes et Proust rêvait de l’enfermement du harem pour Albertine… Suzanne Valandon peignait La Chambre Bleue. Les codes de l’odalisque, mais une vraie femme pour sujet. Une femme habillée confortablement, qui ne cherche pas le regard du spectateur, plongée dans ses pensées en train de fumer. Une autre image de la féminité, libérée du male gaze sexualisant.
Et c’est pareil en littérature grâce à Virginia Woolf. Elle propose autre chose à ses lecteurs. Une œuvre novatrice par la forme. Un texte qui laisse s’exprimer une grande poésie, un mouvement circulaire dans la progression entre les personnages. On est loin de l’autre figure majeure féminine de la littérature anglaise, Jane Austen. La morale et les jeunes filles à marier ont fait leur temps.
L’autre aspect du contexte historique incontournable, c’est évidemment la Première Guerre Mondiale. Les années folles, c’est le regain de vie après la boucherie. Mais les blessés de guerre font aussi leur entrée dans le monde de l’art. On pense aux portraits de gueules cassées, notamment chez les expressionnistes allemands. Et à pas timides, en littérature. C’est ce que nous propose Virginia Woolf.
Alors qu’on a peut-être eu l’impression de ne s’intéresser au stress post traumatique qu’avec les guerres en Afghanistan ou en Irak, Mrs Dalloway nous rappelle que les séquelles de la guerre ont toujours été les mêmes. Le personnage de Septimus, traumatisé par les combats, est là pour incarner cette réalité qui vient juste de prendre fin.
C’est le contre-point ultime dans le texte. Dans la journée de cette femme mondaine, qui organise une grande soirée… On accède au flux de conscience torturé de cet homme figé dans l’horreur. Et pour qui la prise en charge est pour ainsi dire inexistante et inadaptée.
Alors que la vie londonienne suit son cours, que le soleil de juin éclaire tout… D’ailleurs l’autrice souligne bien ce retour à la vie avec d’abondantes références à la couleur jaune. Des bananes, aux reflets du soleil, à la couleur des tissus… Le jaune vient rehausser la ville qui entre dans l’été. Mais à côté de cela, pour les anciens combattants, rien n’est fini. Les traumatismes restent vivaces et prennent toute la place.
Les émotions à fleur de peau
C’est le roman des émotions. La nostalgie, les regrets du passé pour Clarissa surtout. Et la peur, la confusion et le choc permanent pour Septimus. Deux réalités qui s’affrontent à une même époque.