Résumé
« Tout le monde est emballé par Les Fruits d’Or, à ce qu’il paraît… J’ai un peu lu le bouquin… Eh bien, je ne sais pas si vous êtes de mon avis… mais moi je trouve ça faible. Je crois que ça ne vaut absolument rien… Mais rien, hein ? Zéro. Non ? Vous n’êtes pas d’accord ? »
Mes impressions
J’ai récemment relu Les Fruits d’Or de Nathalie Sarraute. Ce livre prenait la poussière dans ma bibliothèque depuis ma prépa ! Ce fut une corvée de le lire à l’époque, pour un devoir “qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ?” Mais aujourd’hui, quelle lecture délicieuse…
Le Nouveau Roman
Tout d’abord, revenons sur la structure de ce roman si particulier. Nathalie Sarraute est l’une des figures emblématiques du courant littéraire du Nouveau Roman. Il s’agit du courant littéraire qui a eu cours entre 1950 et 1970. Les écrivains se réclamant de ce mouvement ont rejeté les règles du roman classique.
Le processus d’écriture devient le point focal, tandis que les marqueurs traditionnels de la fiction sont balayés. Il n’y a plus de personnages à proprement parler, plus de péripéties, plus de narrateur omniscient. Les lecteurs sont invités à se concentrer sur l’acte d’écriture de l’auteur.
L’influence de la psychanalyse qui se développe en France à la même période se ressent aussi. En effet, les auteurs du Nouveau Roman adoptent plus volontiers un point de vue interne pour dérouler le texte.
Les Fruits d’Or est un des meilleurs exemples du Nouveau Roman. L’écrivaine élabore une nouvelle façon d’écrire. Même si la structure peut sembler complexe, le fond de son propos va se révéler limpide.
Malgré sa publication en 1963, ce roman n’a pas pris une ride !
L’intrigue dans Les Fruits d’Or
L’histoire raconte l’avènement critique puis la chute d’un livre, lui aussi nommé Les Fruits d’Or. Ce procédé de mise en abyme, le livre dans le livre, plonge le lecteur au cœur de ces nouveaux procédés d’écriture.
Au travers des avis de différentes personnes, dont le lecteur ne saura jamais rien d’autre que leur propre avis sur le livre, on comprend que ce roman fait grand bruit lors de sa parution. Du livre non plus le lecteur ne saura pas grand chose. Les individus évoquent seulement, de temps en temps, certaines scènes marquantes.
Le lecteur passe donc d’une personne à une autre pour découvrir, presque en même temps que la temporalité du texte, ce qu’il faut penser de ce fameux roman.
Je dis ce qu’il faut en penser, car l’auteure étrille littéralement les coteries snobs qui s’arrogent le droit de juger les œuvres. Elle brosse avec brio et ironie le portrait de ces gens snobs, qu’ils soient les dirigeants de ces petits groupes, ou bien ceux qui les suivent aveuglément. Il y a les quelques élus, capables de déceler l’Art avec un A, il y a leurs fidèles, soit les gens de bon goût et puis il y a les bêtes ignares.
Les moutons parqués
J’ai adoré relever les comparaisons parfaites, comme celles des “moutons parqués par des chiens” pour révéler cette domination de quelques uns, déclarés experts, sur les personnes qui essayent de leur ressembler. Et donc par là, d’avoir les mêmes goûts qu’eux, un sommet de conformisme.
L’auteure décrit ces pseudos experts comme des gourous, le Maître qui éduque son entourage, le juge qui rend une sentence irrévocable. Ils ne sont jamais remis en question, leur but est simplement d’indiquer quoi penser aux autres.
Nathalie Sarraute développe le champ lexical religieux pour décrire ce phénomène avec les fidèles dévots, à genoux etc.
La pensée unique
Puis se pose la question des rebelles, des gens qui ne sont pas d’accord avec la sentence du maître. Le sous-texte est encore plus éclairant pour ceux-là. Ils vivent dans une dictature du bon goût, avec une pensée unique. Il ne peut pas y avoir d’autre vérité que LA vérité. Le livre est mis sous cloche et présenté dans un musée. Ne pas toucher.
On rabroue et on moque les voix dissidentes. Dans le texte on retrouve l’expression “fausse vérité”, d’une étonnante actualité…
C’est ici le champ lexical policier qui fait son entrée et c’est magnifique d’éloquence. Forces de l’ordre, les suspects, gardés à vue etc. Comme toute dictature, il faut un bras armé pour maintenir l’ordre. On inspecte les fidèles pour débusquer les rebelles, on tient disponible les casiers judiciaires de ceux qui ont déjà manqué de goût…
C’est excellent à la fois pour l’écriture et pour la narration.
La place de l’imagination
Il n’y a aucune description dans le roman. Mais la finesse de l’écriture permet au lecteur de se projeter dans l’action. Pour compléter le récit, le lecteur devient en quelque sorte acteur.
Les expressions des uns et des autres, les quelques indications fournies par l’auteure permettent au lecteur de deviner un certain milieu social, bourgeois aisé et parisien. Mais on imagine aussi les visages des personnes qui s’expriment, leurs mouvements. Même la temporalité est à imaginer.
Le livre encensé cela se déroule-t-il au cours d’une seule soirée parmi les invités ? Est-ce sur un temps plus long ? L’expérience de lecture détonne vraiment du roman classique, cela devient un jeu.
Une fois passée la déstabilisation des premières lignes, on se laisse prendre au jeu. Je dirai que les textes et les points de vue se succèdent presque comme si le lecteur tendait l’oreille pour écouter ses voisins de table.
L’hystérie en littérature
Finalement, ce qui ressort de cette lecture c’est l’absence de valeur absolue en art. Qu’est-ce qui fait un best-seller ? Une “hallucination collective” pour citer le texte. Aussi fort soit l’engouement, aussi dure sera le dénigrement et l’oubli.
Les modes et les goûts varient… J’ai beaucoup aimé l’image dépeinte du snobisme. Des gens qui jouent au loto avec la littérature, “découpée en petits carrés numérotés”. Ils mettent tout dans des cases et peuvent affirmer ensuite, n’écrivez pas, tout a été dit.
Pour moi, ce fut une redécouverte salutaire et libératoire. Elle pourra soulager sûrement tous les lecteurs qui pensent aussi avoir des lectures coupables 😉
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