Résumé
Lorsqu’en 1893 le phylloxéra s’abat sur les vignes catalanes, Maria a vingt ans et, pour son malheur, quatre frères. L’avenir de la famille se jouera désormais à Barcelone, où le patriarche a commencé d’établir ses fils. Nulle place pour une fille dans ce plan : Maria restera au village pour porter haut les couleurs de la famille, condamnée à dépérir auprès des ceps infectés. Pour prix du sacrifice, lui reviendra en héritage l’intégralité du domaine – sa somptueuse bâtisse, la Principal, ses dépendances et d’innombrables arpents de vignes –, qu’avec une intelligence et une opiniâtreté sans égales elle parviendra, contre toute attente, à faire prospérer. Comme après elle sa fille, puis sa petite-fille.
Courant sur plus d’un siècle, Les Femmes de la Principal est une saga familiale pleine de secrets et de passions dominée par trois femmes fières, excentriques et inoubliables.
Une histoire inversée
Ce qui m’avait d’emblée plu avec la promesse de ce roman, c’est son histoire inversée. La Catalogne a été ravagée par cette maladie, ces vignes malades qui ont plongé de nombreuses familles dans la pauvreté, l’auteur choisit de faire renaître un domaine. Et à la fin du XIXe siècle, dans une profession d’hommes, c’est donc Maria, une femme qui se retrouve à la tête de l’exploitation. Deux choix d’écriture forts, une renaissance de la nature possible et une famille de femmes pour l’orchestrer.
Le récit fractionné
La saga de cette famille est racontée de manière fractionnée. L’action se passe principalement sur quelques journées de 1940 (les chapitres sont datés). Mais à l’intérieur de cette temporalité, les personnages ou le narrateur évoquent le passé familial. On a aussi à quelques reprises des flashforwards en 2001 enchâssés dans texte.
Le lecteur doit donc composer avec des informations morcelées, venant de témoins directs ou non et qui ne souhaitent pas toujours tout dire. Le lecteur se retrouve donc dans la peau du détective. Et il doit reconstituer le déroulé des événements pour avancer dans la compréhension.
Le rythme du roman est aussi soutenu par les très nombreux dialogues. On est ainsi vraiment aux premières loges de l’action.
La mort qui rôde
Que serait une saga familiale sans ce nœud central ficelé autour d’une mort suspecte ? On peut avoir des personnages bien campés, un décor délavé par le soleil du sud, la sensation du vent à la lecture… Il manque encore le fameux cadavre. Les femmes de la Principal ne déroge pas à cette règle d’airain ! Et c’est en 1940 en Espagne, sous la dictature de Franco, que la police vient frapper à la porte du domaine viticole pour tenter d’obtenir des réponses… Et le moins que l’on puisse dire est que l’enquête n’est pas téléphonée ou prévisible pour le lecteur dès les premiers éléments.
De l’amour, toujours
Autre aspect indispensable pour la saga, une histoire d’amour complexe. Et là aussi, le lecteur va être royalement servi ! Ce sont des passages obligés de ce style littéraire mais c’est toujours appréciable quand l’écriture en est réussie. Sans être un “roman de plage” avec sa connotation négative, ce roman est, pour moi, parfait à lire avec les beaux jours. Si possible en terrasse ou du moins à l’extérieur. L’atmosphère développée dans les descriptions s’en trouve renforcée. Pour moi la saga c’est l’épopée de l’été. On se laisse porter par l’auteur pour démêler les intrigues entre les personnages.
Et aussi, on sait donc à quoi s’attendre avec le genre de la saga. Et c’est agréable de ne pas être déçu ! Surtout que les développements sont attendus, une mort étrange, une histoire d’amour etc. Mais, et c’est un “mais” fondamental, l’angle choisi par Lluis Llach est tout à fait original pour traiter ces aspects. Sans gaffer et spoiler le plaisir de découvrir ce texte, on peut déjà dire que c’est très original et rafraîchissant.
Le contexte historique
J’ai aussi beaucoup apprécié la temporalité choisie. En 1940, on est donc en pleine Seconde Guerre mondiale. On a peut-être tendance aujourd’hui à imaginer tous les destins individuels figés et tendus vers cette horrible réalité de la guerre.
Or ce roman met en lumière que quel que soit le contexte, la vie, le train-train et les galères continuent pour chaque individu. Lorsque les combats et la ligne de front ne sont pas à proximité, cela va de soi. Ainsi, l’auteur développe toute l’activité nécessaire au quotidien pour faire tourner le domaine viticole. Les travaux dans les vignes, le travail après les récoltes… De même, la chape de plomb de la dictature espagnole pèse aussi sur le récit. Mais d’une manière sans doute plus indirecte que simplement de se dire, c’est la vie en dictature. C’était forcément comme ceci ou comme cela. On a la figure inquiétante du policier mais finalement est-ce lui le plus intimidant ?
Revenir au niveau des destins individuels présente toujours ce bénéfice d’éclairer d’une autre lumière une époque que l’on croit déjà connaître.
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