Résumé
1880-1916 : depuis l’enfance du Narrateur, depuis Combray et le côté de chez Swann, tout a changé. C’est l’heure du bilan. Dans le clair-obscur du Paris en guerre, sous le ciel strié de bombardements, émergent des monstres, figures méconnaissables du passé. Un véritable « bal des têtes » défile sous les yeux du Narrateur. La déchéance des Guermantes, et singulièrement celle de Charlus, l’homosexuel magnifique qui n’est plus que l’ombre de lui-même, signe la fin d’un monde. Dans cette atmosphère crépusculaire, figé sous la poussière du temps, Paris prend des allures de Pompéi. Et pourtant, c’est bien un monde nouveau qui s’annonce. Si le temps détruit, si le temps défigure, la mémoire reconstruit. Voyant venir la mort, le Narrateur comprend que « l’œuvre d’art [est] le seul moyen de retrouver le Temps perdu ». Face aux identités instables, dans un monde vidé de sens, le salut vient de la vocation littéraire.
C’est bientôt la fin
Me voilà devant ce dernier volume de La Recherche proustienne. Presque réticente à l’entamer, sachant la fin arriver. J’ai adoré cette lecture bouillonnante et feuilletonnante d’un tome à l’autre. Découvrir la substantifique moelle d’un chef d’œuvre, prendre le temps de la savourer… J’ai pris mon temps, mais ça y est, je suis au bout.
Je referme ce livre à un moment si particulier de ma vie, c’est la fin d’un cycle et l’aube d’un nouveau entièrement inconnu.
Tout cela mêlé a fait de ce septième livre une lecture particulière. Plus fractionnée, étirée en longueur que nécessaire. Sûrement pour la faire durer plus longtemps, tout simplement ! J’ai laissé dans chaque volume de très nombreuses annotations. Des passages splendides, des propos qui me faisaient réagir, etc. J’espère bien recommencer ce voyage de La Recherche plus tard dans ma vie, et comparer mes impressions avec celles de ma première lecture.
Tout passe
C’est en quelque sorte le mot d’ordre de toute la Recherche, puisque le Temps passe bien sûr, et l’on ne peut rien y changer. Mais tout passe aussi, dans le sens où tous les empires finissent par s’effondrer.
Dans le Paris de la première Guerre Mondiale, c’est la décrépitude physique et sociale des Guermantes que nous suivons avec le Narrateur. Ces personnages superbes qui l’ont fait rêver depuis son enfance, il les a sous les yeux au crépuscule de leur vie. Vieillis, abîmés physiquement mais surtout, tombés bien bas socialement pour le duc de Guermantes et le baron de Charlus. La duchesse de Guermantes est également déclassée mais sans s’en apercevoir, encore bouffie d’orgueil des anciennes manières et des anciennes traditions.
Mais la chute des deux hommes est spectaculaire. Après avoir tenu la société mondaine dans leur main, les voilà déconsidérés. Et ce sont leurs choix de vie personnels qui en sont la cause. L’homosexualité de Charlus à présent connue de tous en fait un paria, sans compter ses problèmes de santé. Pour le duc, c’est sa nouvelle maîtresse qui fait parler et pour cause! C’est pour moi le plus gros plot twist de ce volume, Odette et le duc de Guermantes… Ca c’est inattendu et effectivement très mal assorti.
Dans le sens inverse, la fin de trajectoire des Verdurin, de Madame surtout, a vraiment de quoi surprendre. De celle qui ne pouvait avoir dans son salon que Odette, justement, à princesse de Guermantes. Une ascension vertigineuse qui illustre parfaitement le passage à la modernité du XXe siècle.
La noblesse d’épée contre la noblesse de robe
C’est la fin de ce combat d’honneur et de prestige entre les deux. La noblesse d’épée, celle des Guermantes et des très vieilles familles françaises, doit céder la place à la noblesse de robe, ces serviteurs de l’Etat anoblis par le monarque pour les récompenser de leur travail ou bien anoblis par un mariage avantageux avec une famille noble désargentée.
La prédominance des vieilles familles s’achève, dans un monde où la politique prend de plus en plus de place. Avec des affaires intérieures comme l’affaire Dreyfus ou dans le contexte de la guerre en Europe.
Pour les milieux mondains, Proust illustre comment se sont à présent les ministres et les hauts fonctionnaires qui sont recherchés. On veut être au courant des dernières nouvelles, côtoyer le vrai pouvoir. Le pouvoir symbolique des gens comme les Guermantes ne fait plus le poids.
Et l’Art ?
A côté de la clôture des aventures des différents personnages croisés tout au long de la Recherche, le Narrateur expose aussi et surtout sa conception de l’Art et de l’écriture et les objectifs qu’il se donne pour l’œuvre qu’il est maintenant décidé à écrire.
Bien sûr, derrière le Narrateur, ce sont les vues de Proust que nous pouvons découvrir. Et c’est un moment merveilleux. L’auteur qui se mêle une dernière fois à la voix de son Narrateur pour exposer son ambition et tenter de nous la faire comprendre directement.
Quel bonheur de lire une telle oeuvre ♥️