Résumé
Sur la route qui mène de l’enfance à la vieillesse, des joies de Combray à la perte des illusions du Temps retrouvé, Le Côté de Guermantes signe la fin de l’adolescence. On y observe l’aristocratie parisienne à travers les yeux d’un jeune bourgeois. Deux amours impossibles et douloureuses s’y nouent : la passion du Narrateur pour Oriane de Guermantes, et celle de son ami Saint-Loup pour l’actrice Rachel. Le salon mondain est un microcosme qui révèle ce qui intéresse en profondeur le romancier : la lutte de l’intelligence contre la bêtise, la force de la confrontation des points de vue, la richesse de la fluidité des identités.Le Côté de Guermantes est le témoignage mélancolique d’une époque en transition, qui court à la guerre de 1914.
L’affaire Dreyfus
Ce tome III de la Recherche, est sûrement celui qui s’attache le plus à refléter l’actualité qui fut celle de la fin du XIXe siècle. Et dans ce contexte bien sûr, l’affaire Dreyfus ne fait pas exception.
C’est même le scandale le plus présent. Ce qui est normal quand on se rappelle du retentissement et des divisions que cela a provoqué à l’époque dans la société française. Tous les personnages que rencontre le narrateur ont leur avis sur la question. Et chacun se regroupe en fonction de cette opinion. Les pro et antidreyfusard s’opposent frontalement.
Et Proust montre très bien à quel point ce scandale a divisé bien au-delà des frontières de la classe sociale. Ainsi, en plus des cases habituelles de la société, cette ligne de fracture est venue s’ajouter. L’exemple le plus marquant est celui de Robert de Saint Loup. L’ami du narrateur rencontré à Balbec, membre de la puissante et aristocratique famille des Guermantes. Au vu de son statut social, il devrait être antidreyfusard mais il est au contraire convaincu de l’innocence de Dreyfus.
La satire du teatro mundi
Le côté de Guermantes se caractérise aussi par une prédominance dans ses pages de l’ironie. C’est une satire acerbe de la société de la haute bourgeoisie et de la noblesse. En effet, le narrateur assiste de plus en plus à des réunions mondaines. Et son objectif ultime est d’être admis dans le cercle de la duchesse de Guermantes. Comme de coutume pour le narrateur/personnage principal, tant qu’il n’a pas accès à ce cercle mondain, il en rêve. Il se l’imagine paré de toute la sophistication, de la vivacité d’esprit que lui évoquent le nom de Guermantes et les informations qu’il arrive à glaner, principalement sur la duchesse.
Mais comme souvent, confronté à la réalité de ces réunions mondaines de la noblesse, le narrateur ne pourra être qu’amèrement déçu.
Car derrière le piédestal qu’il a construit pour les Guermantes, il ne rencontre que des êtres humains comme les autres, condescendants, impertinents, égoïstes, superficiels… L’auteur utilise à de nombreuses reprises l’ironie ou le second degré pour donner à voir, pour faire sentir tous ces travers que les mondanités engendrent. A ce titre, la scène finale entre Swann, le narrateur et le duc et la duchesse de Guermantes en est une illustration parfaite…
Un texte moderne
C’est sans doute ce qui peut le plus surprendre à la lecture… Si on a gardé l’image cliché de l’œuvre de Marcel Proust comme un Everest à gravir. Or, ce n’est pas une œuvre hermétique, avec quinze sens possibles pour chaque phrase etc. Le lecteur n’a pas besoin de se casser une jambe pour se laisser le temps d’entrer dans cet univers.
Au-delà de ces clichés et du snobisme que cela renferme souvent, l’œuvre de Proust est résolument moderne. Elle est ancrée dans cette époque de transition entre le XIXe et le XXe siècle. Et faire le portrait de ses semblables, autant que des sentiments et des pensées profondes, a été un aspect majeur du travail de l’écrivain.
Proust nous ouvre les portes des salons mondains en vue. Après le salon de Mme Swann dans le tome II, nous découvrons ici le niveau au-dessus. Les coteries des familles nobles. A l’époque, on est encore dans cette dynamique émergée au XVIIe siècle du salon tenu par une femme et qui reçoit les profils les plus en vue, politiques, littéraires, militaires etc.
Oriane ou Albertine ?
Dans ce tome, le narrateur poursuit son chemin vers les femmes. De son amour à sens unique pour la duchesse, il se consolera avec Albertine, ou encore avec une autre ? Dans la jeunesse du narrateur, on sent bien que le rêve, pour le cas de la duchesse, et les désirs purement physiques, pour Albertine ou Mademoiselle de Stermaria, prennent le pas sur l’attachement traditionnel que l’on associe à l’amour.
Et c’est aussi les fondements de cette notion qu’interroge l’auteur avec Le côté de Guermantes. D’une part on a les atermoiements et les hésitations du narrateur et de l’autre on découvre l’amour malheureux et destructeur de Saint Loup. Un amour qui rappelle celui de Swann déjà raconté dans le premier tome.
Les accents tragiques des amours des autres semblent annoncer des nuages à l’horizon pour le narrateur…