Résumé
Leyla, Shabaneh et Rodja se sont rencontrées sur les bancs de l’université à Téhéran. Soudées par un lien indéfectible, elles s’efforcent, envers et contre tout, de mener une vie libre. Leyla s’est mariée avec Misagh et a débuté une carrière de journaliste. Shabaneh est habitée par ses lectures et les souvenirs de la guerre. Rodja vient d’être acceptée en doctorat à Toulouse – il ne lui manque plus que son visa. Mais cet équilibre fragile vacille quand Misagh part seul pour le Canada.
En un été et un automne, entre espoirs et déconvenues, toutes trois affrontent leurs contradictions. Suffit-il de partir pour être libre ?
L’Iran en 2013-2014
Pour mieux appréhender ce roman, il me semble intéressant de se souvenir de l’actualité de l’Iran sur la scène internationale au moment de l’écriture et de la publication initiale du texte, en 2014.
C’était le moment de l’accord sur le nucléaire iranien, l’accession au pouvoir d’un représentant de la frange politique dite “modérée”. Donc, bien vite, trop vite et de loin, on se dit que la société iranienne a dû ressentir ce qui en Occident a été présenté à l‘époque comme des avancées majeures.
Sans compter le feu de paille qu’a été cet accord avec le changement de présidence aux USA en 2016, ce roman vient nous fourrer sous le nez bien plus que les manifestations d’allégresse des journaux télé.
Qu’a pu changer la perspective d’un accord sur le dossier nucléaire pour le commun de la population iranienne ? Qu’est-ce que ça change en termes de dictature, d’horizon bouché, d’une société asphyxiée sous embargo et sanctions internationales ?
L’autrice vient apporter des éléments de réponse avec cette fiction.
Le quotidien
Rien, ça n’a rien changé au quotidien des gens. Ce roman, ce n’est pas juste les histoires de vie croisées de trois copines à Téhéran. Ce sont les destins de trois femmes qui cherchent à naviguer dans les méandres de leur société. Censure de la presse, expatriation de nombreux jeunes diplômés qui ressemble surtout à un exil… A travers l’écriture de Nasim Marashi, on ressent en soi-même l’épuisement que cela doit être au quotidien, pour toute la vie, de zigzaguer entre ses propres aspirations et le carcan du régime.
Car le propos peut sembler léger à première vue. Le quotidien de femmes, les petites victoires, les chagrins, etc. Or il y a une gravité qui s’exhale du texte, une mélancolie tenace avec un zeste de désespoir. Un cocktail finalement pas si gai.
L’émigration
C’est le thème principal de ce roman, le départ volontaire à l’étranger. Dans l’espoir d’y trouver une vie meilleure, de plus ambitieuses opportunités de carrière, de respirer un air différent. Supporter toutes les avanies administratives pour cela, supporter le poids et le chagrin de la fatalité de se retrouver bientôt séparé des familles, des proches.
Ce sont ces aspects pesants inévitables que l’autrice a choisi de mettre en avant. Partir n’est pas qu’une réussite, une libération, c’est aussi un poids. Et c’est aussi une incertitude. Qui sait quelle vie vous attend de l’autre côté ?
Est-ce juste qu’une grande partie de la jeunesse d’un pays ne rêve que de pouvoir s’établir ailleurs ? Et puisque certains rêvent de partir, qu’est-ce que cela dit de ceux qui n’ont pas cette aspiration ?
Les fissures sur le point de craquer
En tout cas, tous les personnages de ce roman ont le point commun, à un moment ou un autre du récit, de faire face au champ lexical de la destruction. Les plafonds qui s’écroulent, les bruits comme un bombardement, les murs qui s’écroulent… Sans compter les évocations directes de la dernière guerre du pays, Iran-Irak de 1980 à 1988. Cette violence, ce traumatisme, imprègnent les mentalités des héroïnes.
Au contraire d’une autre écrivaine iranienne, Zoya Pirzad, on n’a pas le contrepoint heureux des petits riens du quotidien, du temps, des repas… Non. ici, Téhéran c’est la capitale bruyante des klaxons, malade de ses embouteillages, etc. Le propos n’est pas de se distraire avec les petites joies, chacune de ces femmes est aux prises avec sa propre vie sur des sujets majeurs.
Une contestation ?
J’ai lu quelques critiques de ce roman dans la presse française, et à plusieurs reprises l’autrice a été présentée comme dénonçant le système, l’oppression etc. Mais je ne sais pas si je suis vraiment d’accord avec cette lecture de L’automne est la dernière saison. Oui elle montre la frustration et les limites imposées dans la vie des personnes en Iran. Mais est-ce un appel à plus ?
Nasim Marashi vit en Iran, est publiée là-bas, elle a été primée aussi pour ce titre. Un régime remercie-t-il vraiment ses opposants de cette façon ? Je me demande si la presse occidentale ne cherche pas toujours ce qu’elle a envie de trouver. Comme si tous les artistes des pays dictatoriaux devaient sempiternellement porter à eux seuls l’étendard de la liberté, des valeurs humanistes, etc. Parce que c’est plus simple de les applaudir et de les plaindre de loin que de chercher des solutions.
Bref, politique ou non, ce roman est une plongée douce amère dans le quotidien de ces trois amies qu’on a envie de prendre dans nos bras.