Résumé
Comme un long songe d’hiver, ce nouveau roman de Han Kang nous fait voyager entre la Corée du Sud contemporaine et sa douloureuse histoire.
Un matin de décembre, Gyeongha reçoit un message de son amie Inseon. Celle-ci lui annonce qu’elle est hospitalisée à Séoul et lui demande de la rejoindre sans attendre. Les deux femmes ne se sont pas vues depuis plus d’un an, lorsqu’elles avaient passé quelques jours ensemble sur l’île de Jeju.
C’est là que réside Inseon et que, l’avant-veille de ces retrouvailles, elle s’est sectionné deux doigts en coupant du bois. Une voisine et son fils l’ont trouvée évanouie chez elle, ils ont organisé son rapatriement sur le continent pour qu’elle puisse être opérée de toute urgence. L’intervention s’est bien passée, son index et son majeur ont pu être recousus, mais le perroquet blanc d’Inseon n’a pas fait le voyage avec elle et risque de mourir si personne ne le nourrit d’ici la fin de journée. Alitée, elle demande donc à Gyeongha de lui rendre un immense service en prenant le premier avion à destination de Jeju afin de sauver l’animal.
Malheureusement, une tempête de neige s’abat sur l’île à l’arrivée de Gyeongha. Elle doit à tout prix rejoindre la maison de son amie mais le vent glacé et les bourrasques de neige la ralentissent au moment où la nuit se met à tomber. Mais elle se demande si elle arrivera à temps pour sauver l’oiseau d’Inseon, si elle parviendra même à survivre au froid terrible qui l’enveloppe un peu plus à chacun de ses pas. Elle ne se doute pas encore qu’un cauchemar bien pire l’attend chez son amie. Compilée de manière minutieuse, l’histoire de la famille d’Inseon a envahi la bâtisse qu’elle tente de rejoindre, des archives réunies par centaines pour documenter l’un des pires massacres que la Corée ait connu – 30 000 civils assassinés entre novembre 1948 et début 1949, parce que communistes.
Le contexte historique
Le massacre dont il va être question dans ce récit, trouve son origine dans la partition de la Corée. En 1945, l’URSS et les USA sont déjà dans une logique de confrontation. Sous couvert de l’alliance de circonstances contre L’Allemagne nazie et le Japon impérialiste, les deux étendent leur zone d’influence. La Corée illustre parfaitement cette réalité politique. En effet, colonisée par le Japon depuis le début du XXe siècle, le pays va en être libéré. Au nord par l’URSS, au sud par les USA.
Et les deux nouvelles puissances mondiales s’accordent sur cette ligne du 38e parallèle pour sceller la partition du pays entre forces communistes et forces pro-occidentales.
Tous les ingrédients pour la guerre de Corée de 1950 à 1953 sont déjà en place à ce moment-là. Les communistes coréens au nord refusent de voir le pays coupé en deux et se préparent à reprendre le sud. Et au sud, les dirigeants sont obsédés par cette menace ainsi que par l’idée d’avoir été infiltrés sur leur territoire.
C’est la justification pour pouvoir massacrer 30 000 Sud-Coréens non armés sur l’île de Jeju en 1949.
Un roman poignant
Han Kang a remporté le prix Médicis en 2023 avec cet ouvrage dont il émane une force incroyable. C’est un texte à la fois très poétique et très oppressant. Poétique d’abord parce que la narration oscille entre ce qui peut sembler être la réalité et le monde onirique. Ce n’est pas une histoire linéaire, descriptive des faits etc… L’autrice nous plonge surtout dans une atmosphère.
L’histoire d’amitié entre ces deux femmes qui est le point de départ du récit va rapidement laisser la place à davantage. Une quête personnelle ? Un effondrement sous le poids des crimes dans le pays ? Un cauchemar éveillé ?
La neige
On suit cette héroïne fragile dans son périple vers la maison de son amie pour y sauver l’oiseau laissé seul. Une tension entre le suspense et la sensation de malaise s’installe progressivement. Dans cette tempête de neige, on croit être pris au piège avec elle.
Car autant le récit des faits de 1949 est parcellaire et elliptique, autant l’attention portée aux éléments de la nature est précise. Et cette neige… La neige accompagne et couvre tout le récit. Au début on se dit que c’est beau, que ça ajoute un charme… Mais cette neige qui cache tout, qui étouffe le moindre bruit, bouche l’horizon… Une neige épaisse, qui vous colle à la peau, qui menace votre vie… Est-ce que ce n’est pas finalement le poids du passé en Corée du Sud ? Le poids des non dits de l’Etat ?
L’autrice lève le voile sur un moment noir de l’histoire récente du pays. Et la force dont elle use pour rendre leur dignité aux disparus et aux morts de 1949 est bouleversante. Il faut le cœur bien accroché pour certains détails exposés. J’ai retrouvé des réactions communes chez les civils dans ce roman et dans le livre magistral Le fin de l’Homme rouge. C’est un roman magnifique malgré son extrême noirceur.