Résumé
C’est un phénomène secret mais puissant qui transforme radicalement l’agriculture française : l’accaparement des terres. Naguère « réservé » aux pays du Sud, il se répand rapidement dans notre pays. Des grandes entreprises achètent la terre par centaines d’hectares. Elles profitent des failles de la législation, que laissent perdurer le gouvernement et le Parlement.
Ce livre, résultat d’une enquête de plusieurs années et nourri de nombreux reportages, révèle cette mutation souterraine, que l’on peut qualifier de « hold-up ». Un hold-up qui ne se traduit pas seulement par une concentration foncière toujours accrue, mais stimule une agriculture industrielle et chimique, visant une production maximale au détriment de la biodiversité. L’arrivée des grands propriétaires fonciers prolétarise aussi les travailleurs de la terre : les paysans deviennent des sous-traitants salariés et perdent toute autonomie. Une transformation radicale se déroule, qui signifie la fin de l’agriculture traditionnelle. Est-ce vraiment ce que nous voulons ? Il faut imaginer un autre avenir, fondé sur l’écologie, la liberté des paysans, et une maîtrise de la terre au service de l’intérêt général.
La collection Reporterre-Seuil
C’est une collaboration que je trouve intéressante, entre la maison d’édition Seuil et le média indépendant Reporterre, axé sur les thématiques d’écologie.
Certes Seuil n’a rien d’indépendant ni de militant, mais au moins cela permet de publier des ouvrages de journalistes sur des thématiques dont on ne parle pas tellement ailleurs. Quel pain voulons-nous ? sur lequel j’avais déjà fait un post est aussi issu de cette collection.
C’est une manière intelligente de diffuser auprès d’un plus large public des enquêtes journalistiques qui resteraient confidentielles sans cela. Or, souvent, les thématiques abordées méritent en effet d’être mieux connues. Que ce soit pour aider à faire des choix citoyens plus éclairés ou mettre en lumière de nouvelles réalités qui façonnent l’avenir.
Pas de répit pour la terre
Et c’est donc, comme indiqué dans le résumé ci-dessus, les conclusions de la journaliste Lucille Leclair. La terre, le foncier, n’échappe plus aux appétits voraces des grandes entreprises. Des entreprises qui ne sont d’ailleurs généralement pas issues du secteur de l’agriculture. Dans les cas qui sont étudiés dans cet ouvrage, ce ne sont pas une majorité, disons, de coopératives agricoles qui s’agrandissent sans cesse.
Ce qui est à l’œuvre, c’est une diversification d’entreprises qui n’ont rien à voir avec le monde paysan. Des géants du luxe rachètent des vignobles, des champs de fleurs, etc. C’est une nouvelle manière d’engranger des bénéfices et de diversifier le portefeuille d’assets. Des logiques qui, jusque-là, ne touchaient pas la terre. Pas du tout ? Ou simplement, pas à côté de chez nous ?
Le commerce, c’est la guerre
En lisant cette enquête de Lucille Leclair, m’est revenu en mémoire un autre ouvrage que j’avais lu il y a bien longtemps. Le commerce, c’est la guerre de Yash Tandon. Autant le dire tout de suite. Cet ouvrage est militant, très marqué politiquement, à gauche et en faveur des pays du Sud. On est loin de l’orthodoxie économique occidentale, c’est sûr. Mais comme toujours, je trouve qu’il est important de lire d’autres pensées. On en prend, on en laisse mais on apprend toujours quelque chose. Ne serait-ce qu’à décentrer le regard du nombril de l’Occident.
Ce petit chapeau introductif, pour expliquer le lien entre cet ouvrage et celui qui nous occupe, Hold up sur la terre. Yash Tandon éclaire tout au long de sa démonstration comment les accords de commerce, conclus entre l’Union européenne et ses partenaires du Sud, ou entre les Etats-Unis et leurs partenaires, aboutissent à des situations inégalitaires.
Il tente de montrer comment les grandes entreprises occidentales sont favorisées par ces accords pour accéder facilement aux marchés intérieurs des pays du Sud. Pour s’y implanter aussi et y développer des productions, dont la destination finale est l’Occident. Et pour ces pays, c’est encore le secteur agricole qui attise le plus les convoitises.
Ainsi, il me semble qu’après avoir “diversifier” au-delà des frontières, les entreprises cherchent à rafler la mise à la maison.
Une offre qu’on ne peut pas refuser
C’est la situation des agriculteurs qui est directement impactée, c’est évident. Que faire devant des offres de rachat de terrains bien au-delà du prix en vigueur dans la région ? Qui peut ou choisit de résister à des sommes colossales ? C’est une offre qu’on ne refuse pas, comme dans Le parrain.
Aussi, dans un métier toujours plus dur… Ou il faut grossir pour survivre, mécaniser, s’endetter pour cela, sortir à peine un salaire, trimer des heures indécentes toute l’année, etc… Comment ne pas comprendre le choix à taille humaine de l’exploitant qui choisir de vendre et de devenir salarié, avec des horaires fixes et beaucoup de moins de soucis pour l’avenir de la ferme ?
C’est toute la perversité de ce mouvement de rachat motivé par la concentration et la financiarisation. A l’échelle des personnes, c’est une aubaine. Mais avec un horizon plus large, c’est donner les rênes de l’agriculture à des gens qui n’y connaissent rien et dont l’objectif n’est pas la qualité, l’écologie, etc mais payer des actionnaires.