Résumé
Quand ils ne sont ni de maison, ni de prison, les murs sont des instruments de contrôle, d’exclusion, d’interdiction… Avant le mur de Berlin, il y eut de nombreux murs politiques, à commencer par la Grande Muraille de Chine ou les limes des Romains. Ils ont été d’ostracisme comme les murs des ghettos, religieux comme le mur des Lamentations, médicaux comme le mur de la peste en 1720, fiscaux comme le mur des fermiers généraux à Paris au XVIIIe siècle, murs de supplices comme le mur des Fédérés au Père Lachaise. On en compte aujourd’hui une trentaine dans le monde – et plusieurs autres en projet.
Murs des frontières conflictuelles comme la « ligne verte » de Chypre ou celui entre les deux Corée ; contre l’immigration clandestine, dont le plus célèbre est « le mur de Bush » à la frontière des États-Unis et du Mexique ; contre le terrorisme ; contre le trafic de la drogue et la délinquance, dont celui de Padoue en Vénétie. Mais aussi des murs-manifestes et murs de mémoire qui tous nous racontent une autre histoire de l’humanité.
Un état des lieux
L’historien Claude Quétel a publié ce livre en 2012. Il y retrace donc l’histoire des murs partout dans le monde depuis l’Antiquité. C’est un état des lieux utile, qui permet notamment de mettre en perspective les obsessions d’une certaine Amérique pour un mur avec le Mexique. Mais aussi de penser aux autres murs contemporains dont on parle moins mais qui existent déjà.
Les barrières séparant Maroc et les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, la scission de Chypre, des deux Corées, les murs de Gaza, de Belfast… Autant de séparations physiques de l’espace pour venir signifier des actes politiques. Des conflits gelés toujours non réglés, une volonté d’arrêter l’immigration illégale, une “nécessité” de séparer des communautés irréconciliables ou presque… L’ouvrage propose un inventaire exhaustif et mondial qui amène le lecteur à réfléchir sur cette notion et cette façon de marquer l’espace géographique.
Les murs actuels pour coexister
Plus de la moitié de l’ouvrage se consacre aux murs contemporains, depuis le mur de Berlin jusqu’aux exemples les plus récents. Les ramifications politiques de cette solution brutale parfois arbitraire ou unilatérale, sont parfaitement mises en lumière par l’auteur.
Les murs comme un symbole politique mais surtout un symbole d’impuissance ? Derrière cette réalité de construction de murs partout, pour toutes raisons, est-ce que ce qui se cache c’est finalement l’incapacité des politiques à trouver des solutions pérennes et stables pour des problèmes de fond ?
Religion, immigration, règlement de conflits territoriaux armés etc. Quand le problème s’enlise, qu’aucun camp ne sort vainqueur et qu’il faut donc bien apprendre à coexister, on monte un mur ?
Coexister je le prends ici au sens des penseurs du XVIe siècle en France, dans les premiers temps de la Réforme protestante. Le pouvoir royal catholique ne voulait pas en entendre parler. Mais en attendant, des milliers de gens à travers le royaume se convertissaient à la religion nouvelle, dont des familles nobles très influentes. Et il fallait pour autant bien continuer à vivre au quotidien. D’où cette idée de coexistence pacifique. Derrière ce verbe, coexister, il y avait à l’époque le sens de simplement se supporter entre adversaires irréductibles. Ce n’était pas une idée d’apaisement, ni de pas vers l’autre, ou de compréhension. C’était simplement une idée pragmatique pour affronter la réalité. Car la Terre continue de tourner ! C’est ce qui m’est revenu en mémoire en lisant cet ouvrage.
Plutôt que de négocier, de chercher un compromis acceptable ou d’élaborer des politiques remédiant au problème de fond, pouf, une barrière voit le jour. Mais comme toutes ces frontières, ce n’est jamais ni permanent ni infranchissable…
L’éternité dans un mur
Faire l’histoire des murs depuis la grande muraille de Chine à nos jours, c’est aussi illustrer combien l’Homme n’a pas changé entre-temps. La technologie, les méthodes, les savoirs ont évolué, bien évidemment. Mais justement, en cas de désaccord, on applique toujours la délimitation physique, on sépare.
C’est certes un ouvrage de vulgarisation mais fait par un historien. Le livre présente donc l’avantage d’être précis, d’aller droit au but. Pour autant, l’auteur laisse la toute la place pour que le lecteur puisse développer sa propre pensée. Et, bien sûr, puisque le livre date de 2012, le mettre à jour, notamment.
Avec le cas d’école de cette promesse de campagne de Donald Trump et des répercussions que cette idée de mur ont pu engendrer. Un regain de racisme, de xénophobie, etc. Mais aussi, plus inquiétant pour les migrants, la formation de nouvelles milices dans certains États du sud des Etats-Unis pour patrouiller le long de la frontière avec le Mexique. Ces miliciens volontaires sont armés, utilisent la vidéosurveillance et interceptent les personnes qui ont le malheur de réussir à passer. L’immigration clandestine a-t-elle ne serait-ce que baissé aux USA avec ces annonces tonitruantes ? Encore une fois, tout mur grade sa part de porosité.